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Full text of "Dans les brandes: poèmes et rondels; avec un portrait de l'auteur"

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MAURICE ROLLINAT 




DANS 

LES BRANDES 

POÈMES ET RÔNDELS 

AVEC UN PORTRAIT DE L'AUTEUR 

PAR JULES NEIGE 

REPRODUIT PAR DUJARDIN 



PAIUS 

G. CHARPENTIER ET C", ÉDITEURS 

13, nOK OB .8EKNBLLK-S4IllT-eBBMAlM, 13 

1883 





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DANS 

LES BRANDES 



POÈMES ET RONDELS 



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Paris. — Irop. K. Capiomomt et V. RiHintr. ru€ des Poiterins, 6. 

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MAURICE ROLLINAT 



DANS 

LES BRANDES 

POÈMES ET RONDELS 

* AVEC UN PORTRAIT DE L'AUTEUR 
I^AR JULES NEIGE 
REPRODUIT PAR DUJARDIN 



PARIS 

G. CHARPENTIER ET C'% ÉDITEURS 

13, RUE' Dl 0EKNBLLR-SAINT-6BRM4IN, 13 
1883 

Tous droits réservés 



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A LA MEMOIRE 

DE 

GEORGE SAND 

JE DÉDIE 

CES PAYSAGES DU BERRY 

M. R. 



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FUYONS PARIS 



ma si fragile compagne, 
Puisque nous souffrons à Paris, 
Envolons-nous dans la campagne 
Au milieu des gazons fleuris. 

Loin, bien loin des foules humaines, 
Où grouillent tant de cœurs bourbeux, 
Allons passer quelques semaines 
Chez les peupliers et les bœufs. 



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DANS LES BRÂNDBS. 



Fuyons les viles courtisanes 
Aux flancs de marbre, aux doigts crochus, 
Viens ! nous verrons des paysannes 
Aux seins bombés sous les fichus. 

Nos boulevards seront des plaines 
Où le seigle ondoie au zéphir, 
Et des clairières toutes pleines 
De fleurs de pourpre et de saphir. 

En buvant le lait d'une ânesse 
Que tu pourras traire en chemin . 
Tu rafraîchiras ta jeunesse 
Et tu lui rendras son carmin. 

Dans les halliers, sous la ramure, 
Douce rôdeuse au pied mignon, 
Tu t'en iras chercher la mûre, 
Là châtaigne et lé champignon. 



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DANS LES BRANDES. 



Les fruits qu'avidement tu guignes, 
Va I laisse-les aux citadins l 
Nous, nous irons manger des guignes 
Au fond des rustiques Édens. 

Au village, on a des ampoules, 
Mais, aussi. Ton a du sommeil. 
Allons voir picorer les poules 
Sur les fumiers pleins de soleil. 

Sous la lune, au bord des marniëres, 
Entre dés buissons noirs et hauts, 
La carriole dans les ornières 
A parfois de si doux cahots î 

J'aime l'arbre et maudis les haches ! 
Et je ne veux mirer mes yeux 
Que dans la prunelle des vaches, 
Au fond des prés silencieux ! 



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DANS LES BRANDES. 



Si tu savais comme la muse 
M*emplit d'un souffle virginal> 
Lorsque j'entends la cornemuse 
Par un crépuscule automnal ! 

Paris, c'est l'enfer ! — sous les crânes, 
Tous les cerveaux sont desséchés î 
Oh I les meunières sur leurs ânes 
Cheminant au flanc des rochers I 

Oh I le vol des bergeronnettes. 
Des linottes et des piverts ! 
Oh I le cri rauque des rainettes 
Veçtes au creux des buissons verts î 

Mon âme devient bucolique 
Dans les chardons et les genêts, 
Et la brande mélancolique 
Est un asile où je renais. 



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DAN3 LES BRANDBS. 



Sans fin, Seine cadavéreuse, 
Charrie un peuple de noyés ! 
Nous, nous nagerons dans la Creuse, 
Entre des buis et des noyers I 

Près d'un petit lac aux fleurs jaunes 
Hanté par le martin-pécheur, 
Nous rêvasserons sous les aunes, 
Dans un mystère de fraîcheur. 

Fuyons square et bois de Boulogne ! 
Là, tout est artificiel ! 
Mieux vaut une lande en Sologne, 
i&risâtre sous Tazur du ciel ! 

Si quelquefois le nécrophore 
Fait songer au noir fossoyeur. 
Le pic au bec long qui perfore 
Est un ravissant criailleur. 



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DANS LES BRANDES. 



Sommes-nous blasés sans-ressource ? 
Non, viens I nous serons attendris 
Par le murmure de la source 
Et la chanson de la perdrix. 

Le pauvre agneau que l'homme égorge 
Est un poème de douceur; 
Je suis Tami du rouge-gorge 
Et la tourterelle est ta sœur ! 

Quand on est las de Timposture 
De la perverse humanité, 
C'est aux sources de la nature 
Qu'il faut boire la vérité; 

L'éternelle beauté, la seule, 
Qui s'épanouit sur la mort. 
C'est EUe ! la Vierge et l'Aïeule 
Toujours sans haine et sans remord î 



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DANS LES BRANDE8. 



Aux champs, nous calmerons nos fièvres, 
Et mes vers émus, que lu bois, 
Jailliront à flots de mes lèvres, 
Dans la pénombre des grands bois. 

Viens donc, ô chère créature î 
Paris ne vaut pas un adieu I 
Partons vite et, dans la nature^ 
Grisons-nous d'herbe et de ciel bleu ! 



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Il 



A TRAVERS CHAMPS 



Hora de Paris, mon cœur s'élance, 
Assez d'enfer et de démons : 
Je veux rêver dans le silence 
Et dans le mystère des monts. 

Barde assoiffé de solitude 
Et bohémien des guérets. 
J'aurai mon cabinet d'étude 
Dans les clairières des forêts. 



• 



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DANS LES BRANDES. 11 

Et là/mes vers auront des notes 
Aussi douces que le soupir 
Des rossignols et des linottes 
Lorsque le jour va s'assoupir. 

Parfumés d'odeurs bocagères, 
Ensoleillés d'agreste humour, 
Ils auront, comme les bergères, 
L'ingénuité dans lamour. 

M'y voici : la campagne est blonde, 
L'horizon clair et le ciel bleu* 
La terre est sereine, — et dans l'onde 
Se mire le soleil en feu ! 

Là, fuyant code et procédure. 
Mon pauvre père, chaque été, . 
Venait prendre un bain de verdure, 
î)e poésie et de santé. 

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12 DANS LES BRANDES. 



Là, plus qu'ailleurs, pour ma tendresse, 
Son souvenir est palpitant; 
Partout sa chère ombre se dresse, 
Dans ce pays qu'il aimait tant I 

Sous le chêne aux branches glandées. 
Il me vient un souffle nouveau. 
Et lès rimes et les idées 
Refleurissent dans mon cerveau. 

Je revois l'humble silhouette 
De la maison aux volets verts, 
Avec son toit à girouette 
Et ses murs d'espaliers couverts ; 

Le jardin plein de rumeurs calmes 
Où l'arbre pousse vers l'azur, . 
Le chant multiple de ses palmes - 
Qui frissonnent dans un air pur ; ' ; 

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DANS LES BRANDES« i3 

Les petits carrés de légumes 
Bordés de lavande et de buis, 
Et les pigeons lustrant leurs plumes 
Sur la margelle du vieux puits. 

Plus de fâcheux, plus d'hypocrites I 
Car je fréquente par les prés 
Les virginales marguerites 
Et le» coquelicots, pourprés. 

Enfin ! je nargue Tattirance 
Épouvantable du linceul, 
Et je bois un peu d'espérance 
Au ruisseau qui jase tout seul. 

Je marche enfin le long des haies, 
L'âme libre de tout fardeau. 
Traversant parfois des saulaies 
Où sommeillent des flaques d'eau. 

2 

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i4 DANS LES BRANDES. 



Ami de la vache qui broute, 
Du vieux chaume et du paysan, 
Dès le matin je prends la route 
De Châteaubrun et de Crozan. 

Dans Tair, les oiseaux et les brises 
Modulent de vagues chansons; 
A mon pas les pouliches grises 
Hennissent au bord des buissons* 

Tandis qu'au fond des luzemières. 
Jambes aux fers, tête au licou, 
Les vieilles juments pouliftières 
Placidement lèvent le coué 

Le lézard, corps insaisissable 
Où circule du vif-argent^ 
Prômèile au soleil sur le sable 
Sa peau Verte au reflet changeant; 



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DANS LES BRANDBS. i5 



Dans les pacages d'un vert sombre, 
Où, çà et là, bâillent des trous, 
Sous les ormes, couchés à Tombre, 
L'œil mi-clos, songent les bœufs roux. 

Dressant leur tête aux longues cornes, 
Parfois les farouches taureaux 
Poussent, le long des étangs mornes» 
Des mugissements gutturaux. 

Sur les coteaux et sur les pentes. 
Aux environs d'un vieux manoir, 
Je revois les chèvres griihpantes, 
Lds moutons blancs et le chien noir. 

Debout, la bergère chantonne 
D'une douce et traînante voix 
Une complainte monotone. 
Avec son fuseau dans les doigts. 



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16 DANS LES BRANDES; 

Et je m'en reviens à la brune 
Tout plein de calme et de sommeil, 
Aux rayons vagues de la lune, 
Ce mélancolique soleil ! 



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III 



LA LUNE 



La lune a de lointains regards 
Pour les maisons et les hangars 
Qui tordent sous les vents hagards 

Leurs girouettes ; 
Mais sa lueur fait des plongeons 
JDans les marais peuplés d'ajoncs 
Et flotte sur les vieux donjons 

Pleins de chouettes I 



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18 DANS LES BRANDES. 

Elle fait miroiter les socs 

Dans les champs, et nacre les rocs 

Qui hérissent les monts, par blocs 

Infranchissables ; 
Et ses chatoiements délicats 
Près des gaves aux sourds fracas 
Font luire de petits micas 

Parmi les sables 1 



Avec ses lumineux frissons 
Elle a de si douces façons 
De se pencher sur les buissons 

Et les clairières I 
Son rayon blême et vaporeux 
Tremblote au fond des chemins creux 
Et rôde sur les flancs ocreux 

Des fondrières. 

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DANS LES BRAND£S. i9 



Elle promène son falot 
Sur la forêt et sur le flot 
Que pétrit parfois le galop 

Des vents funèbres ; 
Elle éclaire aussi les taillis 
Où, cachés sous les verts fouillis. 
Les ruisseaux font des gazouillis 

Dans les ténèbres. 



Elle argenté sur les talus 

Les vieux troncs d'arbres vermoulus 

Et rend les saules chevelus 

Si fantastiques, 
Qu'à ses rayons ensorceleurs, 
Ils ont Tair de femmes en pleurs 
Qui penchent au vent des douleurs 

Leurs fronts mystiques. 



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^0 DANS LES BRANDES. 



En doux reflets elle se fond 
Panni les nénuphars qui font 
Sur Tétang sinistre et profond 

De vertes plaques ; 
Sur la côte elle donne aux buis 
Des baisers d'émeraude, et puis 
Elle se mire dans les puits 

Et dans les flaques ! 



Et, comme sur les vieux manoirs, 
Les ravins et les entonnoirs, 
Comme sur les champs de blés noirs 

Où dort la caille, 
Elle s'éparpille ou s'épand, 
Onduleuse comme un serpent, 
Sur le sentier qui va grimpant 

Dans la rocaille I 

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DANS LES BRANDES. 21 



Oh ! quand, tout baigné de sueur, 
Je fuis le cauchemar tueur. 
Tu blanchis avec ta lueur 

Mon âitie brune ; 
Si donc, la nuit, comme un hibou. 
Je vais rôdant je ne sais où. 
C'est que je faime comme un four 

bonne Lune ! 



Car, Tété, sur Therbe, tu rends 
Les amoureux plus soupirants. 
Et tu guides les pas errants 

Des vieux bohèmes ; 
Et c'est encore ta clarté, 
reine de l'obscurité. 
Qui fait fleurir l'étrangeté 

Dans mes poèmes î 



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IV 



LA PETITE COUTURIÈRE 



Elle s'en vient à travers champs, 
Le long des buissons qui renaissent 
Pleins de murmures et de chants ; 
Elle s'en vient à travers champs. 
Là-bas, sur les chaumes penchants. 
Mes yeux amis la reconnaissent. 
Elle s'en vient à travers champs. 
Le long des buissons qui renaissent. 

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DANS LfiS BRANDES. 23 

Elle arrive et dit ses bonjours 
Sans jamais oublier la bonne : 
Timidement, comme toujours, 
Elle arrive et dit ses bonjours. 
C'est range de bien des séjours, 
Elle est si jolie et si bonne I 
Elle arrive et dit ses bonjours» 
Sans jamais oublier la bonne. 



La voilà donc tirant son fil, 
Assise devant la croisée î 
Délicieuse de profil, 
La voilà donc tirant son fiL 
Alix rayons d'un soleil d'avril 
La vitre mii*oite irisée. 
La voilà donc tirant son filj 
Assise devant la croisée; 



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24 BANS LES BRANDES. 

Ses doigts rompue aux longs fuseaux, 
Coudraient une journée entière. 
Ils sont vifs comme des oiseaux 
' Ses doigts rompus aux longs fuseaux. 
Comme ils manœuvrent les ciseaux 
Qui pendent sur sa devantière ! 
Ses doigts rompus aux longs fuseaux 
Coudraient une journée entière. 



Elle sait couper un gilet 
Dans une vieille redingote, 
Et ravauder un mantelet ; 
Elle sait couper un gilet. 
Pour la boutonnière et Tourlet, 
Que de tailleurs elle dégote I 
Elle sait couper un gilet 
Dans une vieille redingote ! 



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DANS LES BRANDES. 25 



Elle coud du vieux et du neuf, 
Elle repasse et rapiécette, 
Draps de coton et draps d'Elbeuf, 
Elle coud du vieux et du neuf. 
Comme elle fait courir son œuf 
De bois peint dans une chaussette ! 
Elle coud du vieux et du neuf, 
Elle repasse et rapiécette I 



Quand le déjeuner est servi. 
Ce n'est pas elle qui lambine ! 
Pour moi, je m'attable ravi, 
Quand le déjeuner est servi. 
Et nous dévorons à l'envi ! • 
Adieu bouquin ! adieu bobine ! 
Quand le déjeuner est servi. 
Ce n'est pas elle qui lambine. 



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26 DANS LES BRANDES. 



Enfin ! promenades ou jeu ! 
Sa récréation commence, 
Ensemble nous sortons un peu ; 
Enfin I promenades ou jeu! 
— Dans les taillis, sous le ciel bleu, 
Le rossignol dit sa romance 
Enfin 1 promenades ou jeu ! 
Sa récréation commence. 



Nous allons voir les carpillons 
Au bord de l'étang plein de rides* 
Et que rasent les papillons* 
Nous allons voir les carpillons ; 
Le soleil emplit de rayons 
Son beau petit bonnet sans brides; 
Nous allons voir les carpillons 
Au bord de Tétang plein de rides; 



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DANS LES BBANDES. 27 



Quand on a rangé le dressoir, 
Elle se remet à mes nippes. 
Alors, en voilà jusqu'au soir, 
Quand on a rangé le dressoir. 
Auprès d'elle je vais m'asseoir 
Et jaser en fumant des pipes. 
Quand on a rangé le dressoir 
Elle se remet à mes nippes. 



Je lui fais chanter de vieux airs 
Qui me rappellent mon enfance, 
Quand j'errais par les champs déserts I 
Je lui fais chanter de vieux airs. 
Et nous causons ! rien dans mes airs, 
Ni dans mes termes qui l'offense. 
Je lui fais chanter de vieux airs 
Qui me rappellent mon enfance. 



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28 DANS LES BRANDBS, 



Ses histoires de revenant 

Me font peur! je le dis sans honte. 

Je les écoute en frissonnant, 

Ses histoires de revenant, 

C'est toujours drôle et surprenant, 

Les choses qu'elle me raconte : 

Ses histoires de revenant 

Me font peur ! je le dis sans honte. 



Et la mignonne disparait 
Comme on allume la chandelle ! 
Elle quitte son tabouret ; 
Et la mignonne disparaît. 
« Bonsoir ! dit-elle, avec regret. 
— A bientôt I ma petite Adèle ! » 
Et la mignonne disparait 
Comme on allume la chandelle ! 



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LE PETIT CHIEN 



Caniche étrange, beau Marquis, 
Tes poils frisent comme la mousse, 
Un œil noir aux regards exquis 
Luit dans ta petite frimousse. 

Tout fier de ta toison de lin, 
Toujours vif et jamais morose. 
Tu vas, tapageur et câlin, 
Offrant ton museau noir et rose 



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30 DANS LES BRANDES. 



Ta prunelle parle et sourit 
Aussi fine que peu traîtresse. 
Oh ! comme elle est pleine d'esprit 
Quand tu regardes ta maîtresse ! 

Ta joie et ton plus cher désir 
Cest, devant un bon feu qui flambe, 
De sentir sa main te saisir 
Quand tu lui grimpes sur la jambe. 

Tu te carres svelte et brillant, 
Et tu fais frétiller ta queue 
Quand elle te noue en riant 
Ta petite cravate bleue. 

• 
Si tu la vois lire, broder, 
Ou bien faire la couturière. 
Tu restes sage sans bouder, 
L'œil mi-clos et sur ton derrière. 



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DANS LES BRÂNDES. 31 

; 

Dans les chambres et dans la cour 
Tu la suis, compagnon fidèle, 
Et trottinant quand elle court, 
Tu ne t'écartes jamais d'elle. 

Quand elle veut quitter son toit, 
Tu la guettes avec alarmes, . 
Et lorsqu'elle s'en va sans toi. 
Tu gémis, les yeux pleins de larmes. 

Mais si tu n'as plus de gaieté * 
Loin de celle dont tu raffoles, 
Comme son retour est fêté 
Par tes milles gambades folles ! 

Sur la table, à tous les repas, 
Devant ton mg^itre peu sévère. 
Tu fais ta ronde, à petit pas. 
Frôlant tout, sans casser un verre. 

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32 DANS LES BRANDES. 

'I ' II. 

L'amour ne te fait pas maigrir 
Près d'une chienne langoureuse ; 
N'ayant aucun mal pour t'aigrir, 
Tu trouve l'existence heureuse. 

Ton air mignon et goguenard 
T'obtient tout ce qui t'affriande, 
Et tu croques un gros canard 
Après avoir mangé ta viande. 

Rien que la patte d'un poulet 
T'amuse pendant des semaines, 
Et content d'un joujou si laid, 
Dans tous les coins tu le promènes. 

Bruyant, lorsqu'on te le permet, 
Calme, lorsqu'on te le commande, 
Ta turbulence se soumet 
Sans qu'on use de réprimande. 



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DANS LES BRANDES. 33 

Aussi ton maître te sourit 
Avec sa gravité si bonne ; 
Sa douce femme te chérit, 
Et tu fais l'amour de la bonne. 

Pour moi, que tu reçois toujours 
Avec des yeux si sympathiques. 
Je te souhaite de long jours 
Et de beaux rêves extatiques. 

Cher petit chien pur et charmant, 
De Tamitié vivant emblème, 
En moi tu. flairas un tourment 
Dès que tu vis ma face bïéme. 

Tes aboiements qui sont des voix 
M'ont crié : « Courage ! Espérance ! » 
Et tes caresses m'ont dit : « Vois ! 
Je m'associe à ta souffrance ! » 

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34 DANS LES BRÀNDES. 

Accepte donc ces pauvres vers 
Que t'offre un poète malade, 
Et parfois, sur tes coussins verts, 
Songe à lui comme à ton Pylade. 



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VI 



LES GARDEUSES DE BOUCS 



Près d'un champ de folles avoines 

Où, plus rouges que des pivoines, 
Ondulent au zéphyr de grands coquehcots. 
Elles gardent leurs boucs barbus comme des moines, 

Et noirs comme des moricaudsi 

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36 DANS LES PRANDES. 

L'une tricole et Tautre file. 

Là-bas, le rocher se profile 
Noirâtre et gigantesque entre les vieux donjons, 
Et la mare vitreuse où nage l'hydrophile 

Reluit dans un cadre de joncs. 



Plus loin dort, sous le ciel d'automne, 

Un paysage monotone : 
Damier sempiternel aux cases de vert cru. 
Que parfois un long train fuligineux qui tonne 

Traverse, aussitôt disparu. 



Les boucs ne songent pas aux chèvres. 

Car ils broutent comme des lièvres 
Le serpolet des rocs et le thym des fossés ; 
Seuls, deux petits chevreaux sautent mutins et mièvres 

Par les cheminets crevassés. 

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DANS LES BBANDES. 37 

Les fillettes sont un peu rousses, 
Mais quelles charmantes frimousses, 

Et comme la croix d'or sied bien à leurs cous blancs ! 

Elles ont Tair étrange, et leui's prunelles douces 
Décochent des regards troublants. 



. Pendant que chacune babille, 
Un grand chien jaune dont l'œil brille. 

L'oreille familière à leur joli patois, 

Les caresse, va, vient, s'assied, court et frétille, 
Aussi bonhomme que matois. . 



Et les deux petites gardeuses 
S'en vont, lentes et bavardeuses,' 
Enjambant un ruisseau, débauchant un pertuis, 
Et rôdent sans songer aux vipères hideuses 
Entre les ronces et les buis. 



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38 DANS LES BRANDES. 

Or Fodeur des boucs est si forte 
Que je m'éloigne! mais j'emporte 

L'agreste souvenir des filles aux yeux verts ; 

Et, ce soir, quand j'aurai barricadé ma porte, 
Je les chanterai dans mes vers. 



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VII 



MON ÉPINETTE 



Jean fait la cour à Jeannette 
Dans mon salon campagnard, 
Aux sons de mon épinette. 

Fou de sa mine finette 

Et de son grand œil mignard, 

Jean fait la cour à Jeannette 

Dont la voix de serinette 
Mêle un branle montagnard 
Aux sons de mon épinette. 



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40 DANS LES BRANDES. 

Avec une chansonnette 
Au refrain très égrillard 
Jean fait la cour à Jeannette. 

— Là-bas, plus d'une rainette 
Coasse dans le brouillard, 
Aux sons de mon épinette. 

La lune à la maisonnette. 
Sourit, -— timide et gaillard, 
Jean fait là cour à Jeannette. 

Il suit partout la brunette, 
De Tétagère au placard, 
Aux sons de mon épinette. 

Aussi câlin que Minette 
Qui se pourléche à Fécart, 
Jean fait la cour à Jeannette. 



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DANS LES BBANDS8. 44 

Il effleure sa cornette 

D'un baiser ; — puis, sur le tard, 

Aux sons de mon épinette. 

Pendant que la grande Annette 
Endort son petit moutard, 
Jean fait la cour à Jeannette 
Aux sons de mon épinette. 



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VIII 



LE CHEMIN AUX MERLES 



Voici que la rosée éparpille ses perles 
Qui tremblent sous la brise aux feuilles des buissons. 
— Vague du spleen, en vain contre moi tu déferles ! 
Car, dans les chemins creux où sifflotent les merles, 
Et le long des ruisseaux qui baignent les cressons, 
La fraîcheur du matin m'emplit de gais frissons. 

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DANS LES BRANDES. 43 

Mystérieuse, avec de tout petits frissons, 
La rainette aux yeux noirs et ronds comme des perles, 
S'éveille dans la flaque, et franchit les cressons, 
Pour aller se blottir aux creux des verts/buissons. 
Et mêler son chant rauque au sifflement des merles. 

— Vague du spleen, en vain contre moi tu déferles ! 

— Vague du spleen, en vain contre moi tu déferlps 
Sous Farceau de verdure où passent des frissons, 
J*ai pour me divertir le bruit que font les merles,. 
Avec leur voix aiguë égreneuse de perles I 

Et de môme qu'ils sont les rires des buissons, 
. La petite grenouille est Tâme des cressons. 

La libellule vibre aux pointes des cressons. 

— Vague du spleen, en vain contre moi tu déferles I 
Le soleil par degrés attiédit les buissons, 

Déjà sur les talus Therbe a de chauds frissons. 
Et les petits cailloux luisent comme des perles ; 
La feuillée est alors toute noire de merles ! 

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44 DANS LES BRANDES. 

C'est à qui sifflera le plus parmî les merles ! 
L'un d'eux, s'aventurant au milieu des cressons, 
Bat de l'aile sur l'eau qui s'en égoutte en perles ; 
— Vague du spleen, en vain contre moi tu déferles ! 
Et le petit baigneur fait courir des frissons 
Dans la flaque endormie à l'ombre des buissons. 

Mais un lent crépuscule embrume les buissons ; 
Avec le soir qui vient, le sifflement des merles 
Agonise dans Tair plein d'étranges frissons ; 
Un souffle humide sort de la mare aux cressons : 
spleen, voici qu'à flots dans mon cœur tu déferles I 
Toi, nuit ! tu n'ouvres pas ton vaste écrin de perles ! 

Pas de perles au ciel I le long des hauts buissons, 

Tu déferles, noyant d'obscurité les merles 

Et les cressons I — Je rentre avec de noirs frissons I 



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IX 



LES PETITS TAUREAUX 



Ils ont pour promenoir 
Des vallons verts et mornes. 
Quels prés, matin et soir, 
Ils ont pour promenoir ! 
A peine à leur front noir 
On voit poindre les cornes. 
Ils ont pour promenoir 
Des vallons verts et mornes. 



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46 DANS LES BRANDBS. 



Ils ne peuvent rester * 
Une minute en place. 
Où qu'ils soient à brouter, 
Ik ne peuvent rester. 
Aussi font-ils pester 
Le vacher qui se lasse. 
Ils ne peuvent rester 
Une nûnute en place. 



Autour des grands taureaux 
Tous trois font les bravaches î 
Quels meuglements I quels trots 
Autour des grands taureaux I 
Ils ne sont pas bien gros> 
Mais ils courent les vaches I 
Autour des grands taureaux, 
Tous trois foM les bravaches ! 

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DANS LES BRANDBS. 47 



Chacun fait plas d'un saut 
Sur la génisse blonde. 
Pour elle quel assaut I 
Chacun fait plus d'un saut. 
Elle en a Tair tout sot, 
La pauvre pudibonde. 
Chacun fait plus d'un saut 
Sur la génisse blonde* 



Le pauvre petit ehien 
Fortement les agace-» 
Il est si bon gardien, 
Le pauvre petit chien. 
Si tous trois sont très bien. 
Avec plus d'une agace 
Le pauvre petit chien 
Fortement les agace^ 



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48 DANS LES BRANDBS. 



n est estropié 

Par les coups qu'il attrape, 

A toute heure épié, 

Il est estropié. 

De la tête et du pied 

C'est à qui d'eux le frappe. 

Il est estropié 

Par les coups qu'il attrape. 



Quand ils sont altérés 
Ils vont boire à la Creuse. 
Ils s'échappent des prés ' 
Quand ils sont altérés. 
Oh I les doux effarés 
Sur la côte pierreuse I 
Quand ils sont altérés. 
Ils Yont boire à la Creuse. 



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DANS LES BBANDBS. 49 



Us marchent dans les buis, 
Lents comme des tortues ; 
Sur le bord où je suis 
Ils marchent dans les buis. 
Leurs pieds n'ont pour appuis 
Que des roches pointues ; 
Ils marchent dans les buis 
Lents comme des tortues. 



Moi, je fume, observant 
Le liège de ma ligne 
Qui bouge si souvent ; 
Moi, je fume, observant ; 
Eux, vont le mufle au vent^ 
La prunelle maligne ; 
Moi, je fume, observant 
Le liège de ma Ugne. 



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oO DANâ LES BRANDES. 



Ils s'arrêtent fourbus 

Sous Forme ou sous le tremble. 

Dans les endroits herbus 

Ils s'arrêtent fourbus. 

Joignant leurs nez camus 

Ils se lèchent ensemble* 

Ils s'arrêtent fourbus 

Sous l'orme ou sous le tremble. 



À vous ces triolets 
Que j'ai faits sur la brande t 
Chers petits bœufs follets, 
A vous ces triolets. 
Aux prés ruminez-les, 
La saveur en est grande ; 
A vous ces triolets 
Que j'ai faits sur la brande. 



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DAMS LES BRANDES* 51 



Oh I quel charme ! C'était 
Par une nuit d'automne ; 
Le grillon chuchotait- 
Oh I quel charme c'était ! 
L'étang brun reflétait 
La lune monotone. 
Oh ! quel charme I C'était 
Par une nuit d'automne ! 



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lA MARE AUX GRENOUILLES 



Cette mare, Thiver^ devient inquiétante, 
Elle s'étale au loin sous le ciel bas et gris, 
Sorte de poix aqueuse, horrible et clapotante, 
Où trempent les cheveux des saules rabougris. 

La lande tout autour fourmille de crevasses, 
L'herbe rare y languit dans des terrains mouvants. 
D'étranges végétaux s'y convulsent, vivaces, 
Sous le fouet invisible et féroce des vents ; 

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DANS T4BS BRANDES. 53 

Les animaux transis, que la rafale assiège, 

Y râlent sur des lits de fange et de verglas, 

Et les corbeaux— milliers de points noirs surlaneige— 

Les effleurent du bec en croassant leur glas. 

Mais la lande, Tété, comme une tôle ardente, 
Rutile en ondoyant sous un tel brasier bleu, 
Que Vàrbre, la bergère et la bête rôdante 
Aspirent dans Tair lourd des effluves de feu. 

Pourtant, jamais la mare aux ajoncs fantastiques 
Ne tarit. Vert miroir tout encadré de fleurs 
Et d'un fourmillement de plantes aquatiques. 
Elle est rasée alors par les merles siffleurs. 

Aux saules, aux gazons que la chaleur tourmente, 

Elle offre Téventail de son humidité. 

Et, riant à Tazur, — limpidité dormante, — 

Elle s*épanouit comme un lac enchanté. 

5. 

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54 DANS LES BRANDES. 

Or, plus que les brebis, vaguant toutes fluettes 
Dans la profondeur chaude et claire du lointain, 
Plus que les papillons, fleurs aux ailes muettes. 
Qui s'envolent dans Tair au lever du matin. 

Plus que rÈve des champs, fileuse de quenouilles, 
Ce qui m'attire alors sur le vallon joyeux. 
C'est que la grande mare est pleine de grenouilles, 
— Bon petit peuple vert qui réjouit mes yeux. — 

Les unes : père, mère, enfant mâle et femelle, 
Lasses de l'eau vaseuse à force de plongeons, 
Par sauts précipités, grouillantes, péle-méle. 
Friandes de soleil, s'élancent hors des joncs ; 

Elles s'en vont au loin s'accroupir sur les pierres, 
Sur les champignons plats, sur les bosses des troncs, 
Et clignotent bientôt leurs petites paupières 

Dans un nimbe endormeur et bleu de moucherons. 

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DANd LES BRANDES. 55 

Émeraude vivante au sein des herbes rousses, 
Gliacune luit en paix sous le midi brûlant ; 
Leur respiration a des lenteurs si douces * 
Qu'à peine on voit bouger leur petit goitre blanc. 

Elles sont là, sans bruit rêvassant par centaines, 
S'enivrant au soleil de leur sécurité ; 
Un scarabée errant du bout de ses antennes 
Fait tressaillir parfois leur immobilité» 

La vipère et Tenfant — deux venins ! — sont pour elles 
Un plus mortel danger que le pied lourd des bœufs : 
A leur approche, avec des bonds de sauterelles, 
Je les vois se ruer à leurs gîtes bourbeux ; 

Les autres que sur l'herbe un bruit laisse éperdues, 
Ou qui préfèrent Tonde au sol poudreux et dur, 
A la surface, aux bords, les pattes étendues, 
Inertes hument Tair, le soleil et Tazur. 

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5^ DANS LES BRANDES. 

Ces reptiles mignons qui sont, malgré leur forme, 
Poissons dans les marais, et sur la terre oiseaux, 
Sautillent à mes pieds, que j'erre ou que je donne, 
Sur le bord de Tétang troué par leurs museaux* 

Je suis le familier de ces bêtes peureuses 
A ce point que, sur Therbe et dans l'eau, sans émoi, 
Dans la saison du frai qui les rend langoureuses^ 
Elles viennent s'unir et s'aimer devant moi» 

Et près d'elles, toujours, le mal qui me torture^ 
L'ennui, — sombre veilleur, — dans la mare s'endort ; 
Et, ravi, je savoure une ode à la nature 
Dans l'humble fixité de leurs yeux cerclés d'or. 

Et tout rit ; ce n'est pins le corbeau qui croasse 
Son hymne sépulcral aux charognes d'hiver : 
Sur la lande aujourd'hui la grenouille coasse, 
— Bruit monotone et gai claquant sous le ciel clair. 

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XI 



LE CHAMP DE CHARDONS 



Le champ fourmille de chardons : 
Quel paradis pour le vieil âne ! 
Adieu bât, sangles et bridons I 
Le champ fourmille de chardons. 
La brise môle ses fredons 
A ceux de la petite Jeanne I 
Le champ fourmille de chardons : 
Quel paradis pour le vieil âne ! 



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58 DANS LES BRANDES. 



En chantant au bord du fossé 
La petite Jeanne tricote. 
Elle songe à son fiancé 
En chantant au bord du fossé ; 
Son petit sabot retroussé 
Dépasse le bout de sa cotte. 
En chantant au bord du fossé 
La petite Jeanne tricote . 



Les brebis vaguent en broutant 
Et s'éparpillent sur les pentes 
Que longe un tortueux étang. 
Les brebis vaguent en broutant. 
Le bon vieil âne est si content 
Qu'il retrouve des dents coupantes. 
Les brebis vaguent en broutant 
Et s'éparpillent sur les pentes. 



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DANS LES BRANDES. 59 



Près de Jeanne, au pied d'un sureau, 
La chienne jaune est accroupie. 
La chèvre allaite son chevreau 
Près de Jeanne, au pied d*un sureau. 
La vache rêve ; un grand taureau 
Regarde sauter une pie ; 
Près de Jeanne, au pied d'un sureau, 
La chienne jaune est accroupie^ 



Le taon fait son bruit de ronfleur> 
Et le chardonneret son trille ; 
On entend le merle siffleur ; 
Le taon fait son bruit de ronfleur^ 
t^arfois, en croquant tige ou fleur, 
L'âne, au tronc d'iin arbre, s'étrille; 
Le taon fait son bruit de ronfleur j ^ 
Et le chardonneret son trille ; 



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60 DANS LES BRANDBS. 



J'aperçois les petits cochons 
Avec leur joli groin rose 
Et leur queue en tire-bouchons. 
J'aperçois les petits cochons ! 
Ils frétillent si folichons 
Qu'ils amusent mon œil morose. 
J'aperçois les petits cochons 
Avec leur joli groin rose I 



Le baudet plein de nonchaloir 
Savoure l'âpre friandise ; 
Il est réjouissant à voir 
Le baudet plein de nonchaloir ! 
Sa prunelle de velours noir 
Étincelle de gourmandise. 
Le baudet plein de nonchaloir 
Savoure l'âpre friandise. 



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DANS LES BRANDES. 61 



Le soleil dort dans les cieux gris 
Au monotone tintamarre 
Des grenouilles et des cris-cris. 
Le soleil dort dans les cieux gris. 
Les petits saules rabougris 
Écoutent coasser la mare ; 
Le soleil dort dans les cieux gris 
Au monotone tintamarre. 



Au loin, sur le chemin de fer, 
Un train passe, gueule enflammée : 
On dirait les chars de l'enfer 
Au loin, sur le chemin de fer : 
La locomotive, dans Tair, 
Tord son panache de fumée I 
Au loin, sur le chemin de fer 
Un train passe, gueule enflammée : 



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xn 



LE PETIT FANTÔME 



J*habite TOcéan, 
Les joncs des marécages, 
Les étranges pacages 
Et le gouffre béant* 

Je plonge sous les ftots^ 
le danse sui* la vague* 
Et ma voix est si vague 
Qu'elle échappe aux échos. 



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DANS LES BBANDES. 63 

Je sonde les remous 
Et, sur le bord des mares, 
Je fais des tintamarres 
Avec les crapauds mous. 

Je suis dans les gazons 
Les énormes vipères. 
Et dans leurs chauds repaires 
J'apporte des poisons. 

Je sème dans les bois 
Les champignons perfides; 
Quand je vois des sylphides, 
Je les mets aux abois. 

J'attire le corbeau 
Vers rinfecte charogne, 
J'aime que son bec rogne 
Ce putride lambeau. 

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64 DANS LES BBANDES. 

Je ris quand le follet 
Séduit avec son leurre 
L'enfant perdu qui pleure 
De se voir si seulet. 

Je vais dans les manoirs 
Où le hibou m'accueille ; 
J'erre de feuille en feuille 
Au fond des halliers noirs. 

Mais, malgré mon humour 
Satanique et morose, 
Je vais baiser la rose 
Tout palpitant d'amour. 

Les nocturnes parfums 

. Me jettent leurs bouffées ; 

Je hais les vieilles fées 

Et les mauvais défunts. 



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DANS LES BRANDRS. 65 

La forêt me chérit, 
Je jase avec la lune ; 
Je folâtre dans Tune 
Et Tautre me sourit. 

La rosée est mon vin. 
Avec les violettes 
Je bois ses gouttelettes 
Dans le fond du ravin. 

Quelquefois j'ose aller 
Au fond des grottes sourdes; 
Et sur les brumes lourdes 
Je flotte sans voler. 

A moi le loup rôdant 
Et les muets cloportes I 
Les choses qu'on dit mortes 
M'ont pris pour confident. 



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66 DANS LES BBANDBS. 

Quand les spectres blafards 
Rasent les étangs mornes, 
J*écoute les viornes 
Parler aux nénuphars. 

Invisible aux humains, 
Je suis les penseurs chauves 
Et les poètes fauves 
Vaguant par les chemins. 

Quand arrive minuit, 
Je dévore Tespace, 
. Dans Tendroit où je passe 
On n*entend pas de bruit. 

Mais lorsque le soleil 
Vient éclairer la terre, 
Dans les bras du mystère 
Je retourne au sommeil. 



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XIII 



LA CONFIDENCE 



Tu me disais hier avec un doux sourire : 

« Oh I oui I puisqu'il est vrai que mon amour t'inspire, 

« Je m'en vais t'aimer plus encorl 
« Que pour toujours alors, poète qui m'embrasefs, 
« La fleur de l'idéal embaume tes extases 

« Dans un brouillard de nacre et d'or I » 

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68 DANS LES BRANDBS. ' 

— Et moi, je savourais tes paroles sublimes, 
Mon âme s'envolait dans les airs, sur les cimes, 

Et l'énigme se dévoilait. 
L'étang pour ma pensée étoilait ses eaux mornes, 
Et fraternellement la stupeur des viornes 
Avec la mienne se mêlait. 

Alors, je comprenais le mystère des choses. 
Ce verbe de parfums que chuchotent les roses 

Vibrait tendre dans mes douleurs ; 
Ce qui pleure ou qui rit, ce qui hurle ou qui chante, 
Tout me parlait alors d'une voix si touchante 

Que mes yeux se mouillaient de pleurs. 

Le bœuf languissamment étendu près d'un saule 
Et clignant ses grands yeux en se léchant l'épaule 

Qu'ont fait saigner les aiguillons ; ^ 

Les veaux effarouchés, trottant par les pelouses 
Où viennent folâtrer, sur l'or bruni des bouses. 

Libellules et papillons; 

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DANS LES BRANDES. 



Le poulain qui hennit avec des bonds superbes 
Auprès de la jument paissant les hautes herbes, 

Les grillons dans le blé jauni ; 
Le soleil s'allumant rouge dans les bruines 
Et baignant de clartés sanglantes les ruines 

Où la chouette fait son nid ; 

L'ânon poilu tétant sa nourrice qui broute, 
La pie aux yeux malins sautillant sur la route, 

L'aspic vif et les crapauds lourds, 
Le chien, la queue au vent, et l'œil plein de tendresse. 
Approchant son museau de mes doigts qu'il caresse 

Avec sa langue de velours ; 

Les ruisseaux hasardeux, les côtes, les descentes. 
Le brin d'herbe du roc, et la flaque des sentes. 

L'arbre qui dit je ne sais quoi; 
La coccinelle errant dans la fraîcheur des mousses : 
Parfum, souffle, musique, apparitions douces, 

La nature vivait en moi. 



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XIV 



LA PROMENADE CHAMPÊTRE 



Mai, le plus amoureux des mois, 
Fleurit et parfume les haies. 
Allons-nous-en dans les chênaies, 
Égarons-nous au fond des bois I 
Cherchons la source et les clairières, 
Dormons à l'ombre du bouleau; 
Un bon soleil ami de Teau 
Sourit aux flaques des carrières. 

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DANS LES BBANDES. 7i 

Et tous deux nous nous enfonçons 
Dans la campagne I et, champs, prairies, 
Brandes, mares et métairies 
Tout ça rêve entre les buissons. 
Intrigués par notre costume, 
Les bœufs, avec un œil dormant 
Nous considèrent gravement 
En léchant leur mufle qui fume. 



Mélancolique et cher pays, 

A nous tes petites auberges. 

Ta Gargilesse humble et tes berges 

Si pleines d'ombre et de fouillis I 

Nous deux nous sommes les touristes 

Familiers de tes casse-couj 

Et nous adorons le coucou 

Qui pleure dans tes bois si tristes. 



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72 DANS LES BRANDES. 



—Traversons la cour du fermier : 
Au fond, le chien dort sous un frêne, 
Lentement un crapaud se traîne 
Horrible et doux sur le fumier. 
Ici, la cane barboteuse 
Glousse devant un soupirail; 
Là, des bergers frottent leur ail 
Sur une croûte raboteuse. 



Tiens I voici venir chevauchant. 
Assis sur des sacs de farine, 
Le grand Pierre à qui Mathurine 
Songe plus d'une fois au champ. 
Insoucieux, il se balance, 
Jetant sa voix claire à Técho, 
Déhanché sur son bourriquot, 
Et tout rempli de nonchalance» 



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DANS LES BRANDES. 73 



Angélique, au bord du lavoir, 
A genoux dans l'herbe et la mousse, 
Tape et tord le linge qui mousse. 
C'est tout un plaisir de la voir! 
Il sonne en vain le battoir jaune, 
Les grenouilles n'en ont pas peur. 
Dans une sereine torpeur, 
Elles songent au pied d un aune. 



Que nous font les terrains vaseux 
Puisque chantent les pastourelles. 
Et qu'on peut voir dans les nids frêles 
Le mystère des petits œufs ? 
La pente est rude, mais la roche 
Où le pied se pose au hasard 
S'émeraude avec le lézard. 
Et voici que la Creuse est proche! 



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74 DANS LES BRANDES. 



Là-bas, Margot jacasse avec 
Autant de feu qu'une dévote, 
Elle court, sautille et pivote. 
Hochant la queue, ouvrant le bec. 
Impossible d'être plus drôle I 
Elle danse, et va s'amusant 
D'un beau petit caillou luisant, 
Et d'un brin d'herbe qui la frôle. 



Du fond des chemins oubliée 
Où notre semelle s'attache, 
Nous voyons la vieille patache 
Qui roule entre les peupliers. 
Quand les coups de fouets aiguillonnent 
Les pauvres chevaux courbatus, 
Sur les colliers hauts et pointus, 
Comme les grelots carillonnent! 

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DANS LES BRANDES. 75 



Et la hutte en chaume terreux, 
Abri des petites bergères, 
Est au milieu de ses fougères 
Hospitalière aux amoureux. 
Dans un mystère délectable, 
Las de courir et de causer. 
Nous venons nous y reposer, 
Sur la paille qui sentTétable. 



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XV 



LES CHEVEUX 



J'aimais ses cheveux noirs comme des fils de jais 
Et toujours parfumés d'une exquise pommade, 
Et dans ces lacs d'ébène où parfois je plongeais 
S'assoupissait toujours ma luxure nomade. 

Une âme, un souffle, un cœur vivaient dans ces cheveux 
Puisqu'ils étaient songeurs, animés et sensibles, 
Moi, le voyant, j'ai lu de bizarres aveux 
Dans le miroitement de leurs yeux invisibles. 

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DANS LES BRANDES. 



La voix morte du spectre à travers son linceul, 
Le verbe du silence au fond de Tair nocturne, 
Hs l'avaient : voix unique au monde que moi seul 
J'entendais résonner dans mon cœur taciturne. 

Avec la clarté blanche et rose dé sa peau 
Ils contrastaient ainsi que Taurore avec Tombre ; 
Quand ils flottaient, c'était le funèbre drapeau 
Que son spleen arborait à sa figure sombre. 

Coupés, en torsions exquises se dressant. 
Sorte de végétal, ayant Thumaine gloire, 
Avec leur aspect fauve, étrange et saisissant, 
Hs figuraient à l'œil une mousse très noire. 

Épars, sur les reins nus, aux pieds qu'ils côtoyaient 
Ils faisaient vaguement des caresses musquées ; 
Aux lueurs de la lampe ardents ils chatoyaient 
Comme en un clair-obscur Tœil des filles masquées. 

7. 

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78 DANS LES BRANDES. 

Quelquefois ils avaient de gentils mouvements 
Comme ceux des lézards au flanc d'une rocaille, 
Ils aimaient les rubis, Tor et les diamants, 
Les épingles d'ivoire et les peignes d'écaillé. 

Dans l'alcôve où brûlé de désirs étemels 
J'aiguillonnais en vain ma chair exténuée, 
Je les enveloppais de baisers solennels 
Étreignant l'idéal dans leur sombre nuée. 

Des résilles de soie où leurs anneaux mêlés 
S'enroulaient pour dormir ainsi que des vipères, 
Ils tombaient d'un seul bond touffus et crespelés 
Dans les plis des jupons, leurs chuchotants repaires. 

Aucun homme avant moi ne les ayant humés. 
Ils ne connaissaient pas les débauches sordides ; 
Virginalement noirs, sous mes regards pâmés 
Ils noyaient l'oreiller avec des airs candides, 

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DANS LES BRANOES, 79 

Quand les brumes d*hiver rendaient les deux blafards, 
Ils s'entassaient, grisés par le parfum des fioles, 
Mais ils flottaient l'été sur les blancs nénuphars 
Au glissement berceur et langoureux des yoles. 

Alors, ils préféraient les bluets aux saphirs, 
Les roses au corail et les lys aux opales ; 
Ils frémissaient au souffle embaumé des zéphirs 
Simplement couronnés de marguerites pâles. 

Quand parfois ils quittaient le lit, brûlants et las, 
Pour venir aspirer la fraîcheur des aurores. 
Ils s'épanouissaient aux parfums des lilas 
Dans un cadre chantant d'oiseaux multicolores. 

Et la nuit, s'endormant dans la tiédeur de l'air 
Si calme, qu'il n'eût pas fait palpiter des toiles, 
Ils recevaient ravis, du haut du grand ciel clair, 
La bénédiction muette des étoiles. 

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80 DANS LES *BRANDES. 

Mais elle blêmissait de jour en jour ; sa chair 
Quittait son ossature, atome par atome, 
Et navré, je voyais son pauvre corps si cher 
Prendre insensiblement Tallure d'un fantôme. 

Puis à mesure, hélas I que mes regards plongeaient 
Dans ses yeux qu'éteignait la mort insatiable. 
De moments en moments, ses cheveux s'allongeaient 
Entraînant par leur poids sa tête inoubliable. 

Et quand elle mourut au fond du vieux manoir, 
Ils avaient tant poussé pendant son agonie. 
Que j'en enveloppai comme d'un linceul noir 
Celle qui m'abreuvait de tendresse infinie. 

Ainsi donc, tes cheveux furent tes assassins. 
Leur perfide longueur à la fin t'a tuée, 
Mais, comme aux jours bénis où fleurissaient tes seins, 
Dans le fond de mon cœur je t'ai perpétuée. 

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XVI 



LE REMORDS 



Plus de brise folle 

Sur les talus : 

La frivole 

Ne vole 

Plus! 

• L'âpre soleil rissole 

Les grands fumiers mamelus. 



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82 



DANS LES BRANDES. 



Plus d'oiseau loustic. 
Sur le roc rouge 
Très à pic 
L'aspic 
Bouge. 
L'homme dévale au bouge, 
L'insecte ifait son tic tic. 



Le bois gigantesque 
A la stupeur 
D'une fresque. 
J'ai presque 
Peur! 
L'étang par sa torpeur 
Est d'un affreux pittoresque. 



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DANS LES BRANDES. 83 



Et je souffre, hélas I 

Jusqu'à la fibre : 

Et mon pas 

N'est pas 

libre. 

Plus une aile qui vibre 

Dans l'air où j'entends un glas I 



D'êtres nul vestige* 

Dans mon linceul 

De vertige 

Lourd, suià-je 

Seul? 

tlus cdurbé qu'un aïeul, 
le màrcjiei -^ L*étang se flgé; 



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.84 DANS LES BBANDBS. 



Mon coeur repentant 
Dont tu te moques^ 
OSatanI 
Est en 
Loques. 
Oh l les noirs soliloques 
Que je mannojtte en boitantl 



Le soleil s'élève 
Gomme un drap d'or. 
L'eau qui rêve 
Sans trêve 
Dort, 
Pendant que le remord 
Me taillade aVec son glaive. 



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XVII 



LE PACAGE 



Couleuvre gigantesque il sallonge et se tord, 
Tatoué de maraîs, hérissé de viornes, 
Entre deux grands taillis mystérieux et mornes 
Qui semblent revêtus d'un feuillage de mort. 

L'eau de source entretient dans ce pré sans rigole 
Une herbe où les crapauds sont emparadisés. 
Vert précipice, il a des abords malaisés 
Tels, que Ton y descend moins qu'on n'y dégringole. 

8 

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86 DANS LES BRAND£S. 

Ses buissons où rôde un éternel chuchoteur 
Semblent faits pour les yeux des noirs visionnaires ; 
Chaque marais croupit sous des joncs centenaires 
Presque surnaturels à force de hauteur. 

A gauche, tout en haut des rocs du voisinage» 
Sous un ciel toujours bas et presque jamais bleu, 
Au fond de Thorizon si voilé quand il pleut, 
Gisent les vieux débris d*un château moyen âge. 

Le doiyon sépulcral est seul resté debout, 
Et, comme enveloppé d'un réseau de bruinée, 
Sort fantastiquement de l^amas des ruines 
Que hantent le corbeau, Torfraie et le hiboui 

A droite, çà et là, sûr des rocs, sur des buttés^ 
Qui surplomblent aussi le bois inquiétant. 
Au diable, par delà les landes et Tétaiig, 
S'éparpille un hameau de quinze ou vifagt cahutes:* 

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DANS LES BRANDES. 87 

Et ce hameau hideux sur la côte isolé, 
Les ténébreux taillis, la tour noire et farouche, 
A toute heure et surtout quand le soleil se couche, 
Font à ce pré sinistre un cadre désolé. 

Aussi Tœil du poète halluciné sans trêve 
En boit avidement Taustère étrangeté. 
Pour ce pâle voyant ce pacage est broaté 
Par un bétail magique et tout chargé de rêve. 

Je ne sais quelle horreur se dégage pour eux 
De Therbe où çà et là leurs pelages font taches. 
Mais tous, bœufs et taureaux, les juments et les vaches. 
Ont un air effaré sous les saules affreux. 

Tout enfant je rôdais sous la bise et Taverse 

Aux jours de canicule et par les plus grands froids, 

Et ce n'était jamais sans de vagues effrois 

Que je m'engageais dans un chemin de traverse. 

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88 DANS LSS BRANDBS. 

Loin delà cour de ferme où gambadaient les veaux. 
Loin du petit hangar où séchaient des bourrées, 
J'arpentais à grands pas les terres labourées. 
Les vignes et les bois, seul, par monts et par vaux- 

En automne surtout, à ITieure déjà froide, 

Où Thorizon décroît sous le ciel assombri, 

Alors qu'en voletant Toiseau cherche un abri. 

Et que les bœufs s'en vont Toeil fixe et le coup roide ; 

J*^aimais à me trouver dans ce grand pré, tout seul. 
Fauve et mystérieux comme un loup dans son antre. 
Et je marchais, ayant de Therbe jusqu'au ventre. 
Cependant que la nuit déroulait son linceul. 

Alors au fatidique hou-hou-hou des chouettes, 
Aux coax révélant d'invisibles marais, 
La croissante pénombre où je m'aventurais 
Fourmillait vaguement d'horribles silhouettés. 

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DANS LES BRANDES. 8!) 

f 

Puis aux lointains sanglots d'un sinistre aboyeur 
Les taureaux se ruaient comme un troupeau de buffles, 
Et parfois je frôlais des fanons, et des mufles 
Dont le souffle brûlant me glaçait de frayeur. 

Et le morne donjon s'en allait en ténèbres, 
La haie obscurcissait encor son fouillis, 
Et sur les coteaux noirs la cime des taillis 
Craquait sous la rafale avec des bruits funèbres ! 



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XVIII 



LES BOTTINES D'ÉTOFFE 



Dans un bourg de province appelé Saint-Christophe, 
Un jour que je rôdais près des chevaux de bois, 
Au son désespéré d'un grand orgue aux abois, 
j'entrevis tout à coup deux bottines d'étoffe. 

L'une semblait dormir sur le frêle étrier, 
L'autre bougeait avec une certaine morgue. 
A quelque pas, sans trêve, un vieux ménétrier 
Se démanchait le bras comme le joueur d'orgue. 

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DANS LES BBANORS. 9i 

Les grincements aigus du violon m'entraient 
Dans rame, etm'égaraient au fond d'un spleen sans born es, 
Et toujours, toujours les bottines se montraient 
Dans le gai tournoiement des petits chevaux mornes. 

Pauvres petits chevaux î roides sous le harnais, 
Vertigineusement ils roulaient dans le vague. 
Leur maître, un acrobate à l'accent béarnais. 

S'essoufflait à crier : « A la bague ! A la bague I » 

* 

Ils me navraient I J'aurais voulu les embrasser 
Jît dire à leur bois peint, que je douais d'une âme. 
Combien je maudissais le bateleur infâme 
Qui se faisait un jeu d'ainsi les harasser. 

Mais en vain j'emplissais mes yeux de leurs marbrures, 
Et je m'apitoyais sur leur mauvais destin. 
Mon regard ne lorgnait, lascif et clandestin. 
Que les bottines, dont il buvait les cambrures. 

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92 DANS LES BRANDES. 

Oh I comme elles plaquaient sur les doux inconnus 
Dont mon rêve léchait l'ensorcelant mystère \ 
Moules délicieux de pieds frôleurs de terre 
Que j'aurais voulu mordre en les voyant tout nus» 

Et le ménétrier sciait ses cordes minces 
Et celui qui tournait la manivelle, hélas ! 
De l'orgue poitrinaire effroyablement las 
Y cramponnait ses mains, abominables pinces. 

Quelle mélancolie amoureuse dans l'air 

Et dans mon cœur I des chants rauques sortaientdes bouges. 

Un soleil capiteux dardait ses rayons rouges 

Qui grisaient lentement les filles à Fœil clair. 

Bruits, senteurs, atmosphère, aspect de la cohue • 
Se ruant à la fête avec des rires mous^ 
Et des petits chevaux tournant conmie un remous. 
Jusqu'à l'entrain niais des bourgeois que je hue ; 

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DANS LES BRANDirS. 'J3 

Toutes ces choses-là sans doute m'obsédaient/ 
Mais qu'était-ce à côté de ces bottines grises 
Dont ma chair et mon âme étaient si fort éprises 
Que j'aurais souffleté ceux qui les regardaient? 

Ainsi que d'un écrin gorgé de pierreries, 
D'épingles d'or massif, et de gros diamants, 
Il en sortait pour moî tant d'éblouissements 
Que mon œil effaré nageait dans des féeries. 

Elles me piétinaient l'imagination, 
Mais avec tant d'amour, qu'ainsi foulé par elles, 
J'avais des voluptés presque surnaturelles 
Qui m'emportaient en pleine hallucination. 

Alors, plus d'acrobate à la figure osseuse. 
Plus de foule ! plus rien 1 sous les deux embrasés. 
Au milieu d'une extase aromale et berceuse 
J'avais pour m'assoupir un hamac de baisers. 

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94 DANS LB8 BRANDBS. 

Oh I qui rendra jamais l'attouchement magique 
De ces bottines d'ange aux souplesses d'oiseaux ? 
Tout ce que la langueur a de plus léthargique 
Se mêlait à ma moelle et coulait dans mes os ! 

Leurs petits bouts carrés me becquetaient les lèvres.. 
Et leurs talons pointus me chatouillaient le cou ; 
Et tout mon corps flambait : délicieuses fièvres 
Qui me vaporisaient le sang I — Quand tout à coup, 

La nuit vint embrumer le bourg de Saint-Christophe : 
L'orgue et le violon moururent tous les deux ; 
Les petits chevaux peints s'arrêtèrent hideux ; 
Et je ne revis plus les bottines d'étoffe. 



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XîX 



LE FANTOME D'URSULE 



tine nuit, — voua allez bien sûr être iiicrédulej — 
J'étais au coin du feu, lorsqu'on me retournant^ 
Je vis debout dans Fombre un hideux revenant* 
Mintiit sonnait alors à ma vieille pendule^ 

-**- tt Me reconnais-tu, hein? » dit41 en ricanalit : 

Et son ricanetnent fit un bruit de (iapsulei 

n ajouta : « je suis le fantôme d'Ursule: 

t< ^e te parlais d'amour jadis, mais maintenailt^ 

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96 DANS LBS.BRANDES. 

« J'aurai, vivant cadavre échappé de ma bière, 

« Une loquacité féroce de barbière 

« Pour te parler de mort, à travers mon linceul. » 

Gela dit, Tétre blanc s'enfuit dans les ténèbres. 
Et j'entends chaque nuit, lorsque je suis tout seul. 
Un long chuchotement de paroles funèbres. 



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XX 



LA NEIGE 



Avec ma brune, dont Tamour 
N*eut jamais d'odieux manège, 
Par la vitre glacée, un jour, 
Je regardais toniber la neige, : . 

Elle tombait lugubrement. 
Elle tombait oblique et forte, 
La nuit venait et, par moment, 
La rafale poussait la porte. 



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98 DANS LES BRÂNDBS. 

Les arbres qu'avait massacrés 
Une tempête épouvantable, 
Dans leurs épais manteaux nacrés 
Grelottaient d'un air lamentable. 

Des glaçons neigeux faisaient blocs 
Sur la rivière congelée ; 
Murs et chaumes semblaient des rocs 
D'une blancheur imms^culée* 

Aussi loin que notre regard 
iPloûgeait à l'horizon sans boi*ne> 
Nous voyions le pays hagard 
Dans son suaire froid et morne» 

Et de là blanéhe immensité 
inerte^ vague et mbiiotône; 
t)e la croissante obscurité^ 
Du vent muet, de l'arbre atone, 

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DANS LES BRANDBS. 99 

De Tair, où le pauvre oiselet 
Avait le vol de la folie, 
Pour nos deux âmes s'exhalait 
Une affreuse mélancolie. 

Et la neige âpre et l'âpre nuit 
Mêlant la blancheur aux ténèbres, 
Toutes les deux tombaient sans bruit 
Au fond des espaces funèbres. 



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XXI 



LA VACHE 



Une vache gisait, sombre, la bave au mufle, 
Et les yeux imprégnés d'une immense terreur, . 
Tandis qu'un taureau noir, farouche comme un buffle. 
Semblait lui regarder le ventre avec horreur. 

Le pacage ! c'était la pénombre béante. 

L'arbre y devenait spectre, et le ruisseau marais. 

Un ciel jaune y planait sur une herbe géante. 

A droite, un vieux manoir — à gauche, des forêts. 

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0AN8 LBS BRANDBS. 101 

Et la vache geignait dans ce lieu fantastique. 
On eût dit qu'un pouvoir occulte et magnétique 
Élargissait encor ses grands yeux assoupis. 

Ma curiosité devint alors féroce, 

Et, m'approchant, je vis, — ô nourrisson atroce ! — 

Un énorme crapaud qui lui suçait le pis. 



9. 

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XXII 



NUIT FANTASTIQUE 



Tandis que dans Tair lourd les follets obliques 
Vaguent perfidement au-dessus des trous, 
Les grands oiseaux de nuit au plumage roux 
Poussent lugubrement des cris faméliques, 

Diaboliques 

Sur les houx. 

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DANS LES BRANDE8. 103 

Des carcasses, cohue âpre et ténébreuse, 
Dansent au cimetière entre les cyprès ; 
Tout un bruissement lointain de forêts 
Se mêle au choc des os — plainte douloureuse. — 
Le vent creusé 
Les marais. 

Entendez-vous mugir les vaches perdues. 
Sur un sol hérissé d'atroces cailloux 
Qui percent leurs sabots comme de grands clous ? 
Oh ! ces beuglements I Les pauvres éperdues 

Sont mordues 

Par les loups 1 

Sous les vents, le bateau qu'enchaîne une corde 
Au rivage pierreux crève son vieux flanc. 
Le chêne formidable en vain s'essoufflant 
Succombe : il faut que sous l'effroyable horde 

n se torde 

En hurlant. 

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f04 DANS UES BRANOBS, 

La nuit a tout noyé, mer ensorcelante, 
Berçant le rêve au bord de ses entonnoirs, 
La lune, sur l'œil fou des grands désespoirs, 
Ne laisse pas filtrer sa lueur parlante. 
. nuit lent^l 
deux noirs ! 



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XXIII 



LA GUEULE 



fatale rencontre I au fond d'un chemin creux 

Se chauffait au soleil, sur le talus ocreux, 

Un reptile auissi long qu'un manche de quenouille. 

Mais le saut effaré d'une pauvre grenouille 

Montrait que le serpent ne dormait qu'à moitié 1 

Et je laissai, Thorreur étranglant ma pitié, 

Sa gueule se distendre et, toute grande ouverte, 

Se fermer lentement sur la victime verte^ 

Puis le sommeil reprit le hideux animal. 

La grenouille, c'est moil Le serpent, c'est le mal! 

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XXIV 



LES VIEUX CHEVAUX 



Je suis plein de respect pour la bêle de somme, 
Et, pour moi, Tâne maigre et les chevaux poussifs 
Marchant devant le maître affreux qui les assomme. 
Sont de grands parias, résignés et pensifs. 

Aux champs, dansleur jeunesse, aussi dodus qu'ingambes. 
Ils avaient du foin vert, ils avaient du répit. 
Ils traînent maintenant leur vieux corps décrépit. 
Le séton au poitrail, et Técorchure aux jambes. 

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DANS LES BRANDES. 107 

Ils déferrent leur corne à force de tirer, 
Pleins d'ulcères hideux que viennent lacérer 
Les lanières du fouet et les mouches féroces. 

Et Thomme, ce tyran qu'irrite la douceur, 

Les flagelle à deux mains, en hurlant : « Boitez, rosses, 

« Mais vous me servirez jusqu'à Téquarisseur ! » 



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XXV 



LE BŒUF 



L'œil injecté de sang, le mufle dans Teau sale» 
Un bœuf, à moitié mort de soif et de chaleur, 
Penchait sur le trottoir sa tête colossale 
Devant un boucher ivre et sourd à sa douleur. 

A la fin, il tomba pesanmient sur les pierres, 
Et, fracassé, vomit dans sa bave trois dents, 
Au milieu des lazzis de hideuses tripières 
Voyant en lui déjà des intestins pendants. 

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DAÎ<S LES BRÂNDES. 109 

Affairés et flâneurs, hommes, enfants et femmes, 
Heurtant le pauvre bœuf de leurs rires infâmes. 
Absorbaient le peu d'air qu'il tâchait de humer; 

Et dans un café sombre, oblong comme une bière, 
Ceux qui fument pour boire et boivent pour fumer 
Le regardaient mourir en dégustant leur bière. 



10 

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XXVI 



LA RUINE MAUDITE 



De tous côtés, la ronce, effroyable broussaille, 

Grimpe férocement au long de la muraille. 

Sur un long banc de pierre, affreux comme un tombeau, 

Mélancoliquement médite un vieux corbeau. 

Un grand saule, pourbé comme un homme qui souffre, 

Baigne ses cheveux verts dans un horrible gouffre 

Qui dort plein de mystère et de lents grouillements. 

L'eau clapote, et Ton voit de moments en moments 

Une forme d'aspic, qui vaguement s'efface, 

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DANS LES BRANDES. 11} 

Parfois entre les joncs bouger à la surface. 

Des champignons hideux, suppurant le poison, 

Poussent lugubrement aux coins de la maison, 

Et le reptile meurt à côté de leur tige. 

Un puits, dont Taspectseul donnerait le vertige, 

Ouvre sa large gueule au milieu de la cour. 

Un énorme lézard sur la margelle court 

Et cherche sous la brume, affolé, presque roide, 

Un rayon de soleil pour chauffer sa peau froide. 



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XXVII 



LES ARBRES 



Arbres, grands végétaux, martyrs des saisons fauves, 
Sombres lyres des vents, ces noirs musiciens, 
Que vous soyez feuillus ou que vous soyez chauves, 
Le poète vous aime et vos spleens sont les siens. 

Quand le regard du peintre a soif de pittoresque, 
C'est à vous qull s'abreuve avec avidité, 
Car vous êtes l'immense et formidable fresque 
Dont la terre sans fin pare sa nudité. 

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DANS LES BRANDBS. H 3 

De VOUS un magnétisme étrange se dégage, 
Plein de poésie âpre et d'amères saveurs ; 
Et quand vous bruissez, vous êtes le langage 
Que la nature ébauche avec les grands rêveurs. 

Quand Téclair et la foule enflent rafale et grêle, 
Les forêts sont des mers dont chaque arbre est un flot. 
Et tous, le chêne énorme et le coudrier grêle, 
Dans Topaque fouillis poussent un long sanglot. 

Alors, vous qui parfois, muets comme des marbres, 
Vous endormez, pa^reils à des cœurs sans remords. 
Vous tordez vos grands bras,vo us hurlez, pauvres arbres, 
Sous Thorrible galop des éléments sans mors. 

L'été, plein de langueurs, Toiseau clôt ses paupières 
Et dort paisiblement sur vos mouvants hamacs, 
Vous êtes les écrans des herbes et des pierres 
Et vous mêlez votre ombre à la fraîcheur des lacs. 

10. 

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ai DANS LES BRANDES. 

Et quand la canicule, aux vivants si funeste, 
Pompe les étangs bruns, miroirs des joncs fluets, 
Dans l'atmosphère lourde où fermente la peste, 
Vous immobilisez vos branchages muets. 

Votre mélancolie, à la fin de l'automne, 
Est pénétrante, alors que sans fleurs et sans nids. 
Sous un ciel nébuleux où d'heure en heure il tonne, 
Vous semblez écrasés par vos rameaux jaunis. 

Les seules nuits de mai, sous les rayons steDaires* 
Aux parfums dont la terre emplit ses encensoirs. 
Vous oubliez parfois vos douleurs séculaires 
Dans un sommeil bercé par le zéphyr des soirs. 

Une brume odorante autour de vous circule 
Quand l'aube a dissipé la nocturne stupeur. 
Et, quand vous devenez plus grands au crépuscule, 
Le poète frémit coinme s'il avait peur. 

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DANS LES BRANDRS. H 5 

Sachant qu'un drame étrange est joué sous vos dômes, 
Par le& bétes le jour, par les spectres la nuit, 
Pour voir rôder les loups et glisser les fantômes. 
Vos invisibles yeux s'ouvrent au moindre bruit. 

Et le soleil vous mord, Taquilon vous cravache. 
L'hiver vous coud tout vifs dans un froid linceul blanc, 
Et vous souflfrez toujours jusqu'à ce que la hache 
Taillade votre chair et vous tranche en sifflant. 

Partout où vous vivez, chênes, peupliers, ormes, 
Dans les cités, aux champs, et sur les rocs déserts, 
Je fraternise avec les tristesses énormes 
Que vos sombres rameaux épandent par les airs. 



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XXVIII 



LE CRAPAUD 



vivante et viqueuse extase 
Accroupie au bord des marais, 
Pèlerin morne de la vase, 
Des vignes et des bruns guérets, 

Paria, dont la vue inspire 
De Thorreur aux pestiférés, 
Crapaud, inconscient vampire 
Des vaches sommeillant aux prés ; 



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OAN^S LES BRANDES. Ii7 

Infime roi des culs-de-jatte 

Écrasé par ta pesanteur, 
Sombre forçat tirant la patte 
Avec une affreuse lenteur, 

A toi que Dieu semble maudire, 
A toi, doux martyr des enfants. 
Le cœur ému, je viens te dire 
Que je te plains et te défends. 

Ton pauvre corps, lorsque tu bouges, 
Est inquiet et tourmenté. 
Et ce qui sort de tes yeux rouges, 
C'est une immense humilité. 

Je t'aime, monstre épouvantable, 
Que j'ai vu grimpant Tautre soir. 
Avec un effort lamentable, 
Dans Tépaisseùr du buisson noir. 

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HH DANS LBS BRANDBS. 

Loin de rhomme et de la vipère, 
Loin de tout ce qui frappe et mord, 
Je te souhaite un bon repaire, 
Obscur et froid comme la mort. 

Fuis vers une mare chargée 
De brume opaque et de sommeil, 
Et que n'auront jamais figée 
Les yeux calcinants du soleil. 

Qu'un ciel à teintes orageuses, 
Toujours plein de morosité, 
Sur tes landes marécageuses 
Éternise Fhumidité ; 

Pour que toi, le rôdeur des flaques, 
Tu puisses faire tes plongeons 
Dans de délicieux cloaques 
Frais, sous le fouillis vert des joncs. 

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DANS LES'BRAKDES. 110 

Dans la grande paix sépulcrale 
^De la nuit qui tombe des deux, 
Lorsque le vent n'est plus qu'un râle 
Dans les arbres silencieux, 

Unis-toi sous la froide lune, 
Qui t'enverra son regard blanc, 
A la femelle molle et brune 
Bavant de plaisir à ton flanc! 

Dans les nénuphars, jamais traîtres» 
Humez Tamour, l'amour béni. 
Qui donne aux plus horribles êtres 
Les ivresses de l'infini. 

Et puis^ chemine, lent touriste. 
De la mare au creux du sapin. 
En chuchotant ton cri plus triste 
Que tous les mineurs de Chopin. 

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120 DANS LB8 BRANDËS. 

Rampe à Taise, deviens superbe 
De laideur grasse et de repos, 
Dans la sécurité d'une herbe 
Où ne vivront que des crapauds I 

De rhiver à la canicule 
Puisses-tu savourer longtemps 
L'ombre vague du crépuscule 
Près des solitaires étangs ! 

Puisse ta vie être un long rêve ' 
D'amour et de sérénité I 
Sois la hideur ravie, et crève 
De vieillesse ou de volupté! 



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XXIX 



LA LAVEUSE 



Voici l'heure où les ménagères 
Guettent le retour des bergères. 
Avec des souffles froids et saccadés, le vent 
Fait moutonner au loin les épaisses fougères 
Dans le jour qui va s'achevant. 

Là-bas sur un grand monticule 

Un moulin à vent gesticule. 

Les feuilles d'arbre ont des claquements de drapeaux, 

Et l'hymne monotone et doux du crépuscule 

Est entonné par les crapauds. 

11 



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4 22 DANS LES BRANDBS. 

Des silhouettes désolées 

Se convulsent dans les vallées, 
Et, sur les bords herbeux des routes sans maisons, 
Les mètres de cailloux semblent des mausolées 

Qui dorment parmi les gazons. 



Déjà plus d'un hibou miaule, 

Et le pâtre, armé d'une gaule, 
Par des chemins boueux, profonds comme des trous, 
S'en va passer la nuit sur l'herbe, au pied d'un saule, 

Avec ses taureaux bruns et roux. 



Dans la solitude profonde 

Les vieux chênes à tête ronde, 
Fantastiques, ont l'air de vouloir s'en aller 
Au fond de l'horizon, que le brouillard inonde, 

Et qui parait se reculer. 

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DAN3 LES BRANDES. i23 

Mais les choses dans la pénombre 

Se distinguent*: figure, nombre 
Et couleur des objets inertes ou bougeurs, 
Tout cela reste encor visible, quoique sombre. 

Sous les nuages voyageurs. 



Or, à cette heure un peu hagarde, 

Je longe une brande blafarde. 
Et pour me rassurer je chante à demi-voix, 
Lorsque soudain j'entends un bruit sec. — Je regarde, 

Pâle, et voici ce que je vois : 



Au bord d'un étang qui clapote. 

Une vieille femme en capote, 
A genoux, les sabots piqués dans le sol gras. 
Lave du linge blanc et bleu qu'elle tapote 

Et retapote à tour de bras. 

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124 DANS LES BRANDES. 

— « Par OÙ donc est-elle venue, 
« Cette sépulcrale inconnue? » 
Et je m'arrête alors, pensif et répétant, 
Au milieu du brouillard qui tombe de la nue. 
Ce soliloque inquiétant 



Œil creux, nez crochu, bouche plate, 
Sec et mince comme une latte. 
Ce fantôme laveur d'un âge surhumain, 
Horriblement coiffé d un mouchoir écarlate, 
Est là, presque sur mon chemin. 



Et la centenaire aux yeux jaunes. 
Accroupie au pied des grands aunes, 
Sorcière de la brande où je m'en vais tout seul. 
Frappe à coups redoublés un drap, long de trois aunes, 
Qui pourrrait bien être un linceul. 

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DANS LES BBANDES. 125 

Alors, tout à rhorreur des choses 

Si fatidiques dans leurs poses, 
Je sens la peur venir et la sueur couler. 
Car la hideuse vieille en lavant fait des pauses 

Et me regarde sans parler. 



Et le battoir tombe et retombe 

Sur cette nappe de la tombe, 
Mêlant son diabolique et formidable bruit 
Aux sifflements aigus du vent qui devient trombe ; 

Et tout s'efface dans la nuit. 



— « Si loin ! pourvu que je me rende ! » 

Et je me sauve par la brande 

Gomme si je sentais la poursuite d'un pas; 

Et dans l'obscurité ma terreur est si grande 

Que je ne me retourne pas. 

11. 

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12^6 DANS LES BRANDKS. 

Ici, là, fondrière ou flaque, 

Cotûplices de la nuit opaque I 
Et la rafale beugle ainsi qu'un taureau noir, 
Et voici que sur moi vient s'acharner la claque 

De Tabominable battoir. 



Enfin, ayant fui de la sorte 

À travers la campagne morte, 
J'arrive si livide, et si fou de stupeur 
Que lorsque j'apparais brusquement à la porte 

Mon apparition fait peur ! 



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XXX 



LA DÉLIVRANCE 



Plus d'obsessions vipérines ! 
Plus de chuchotements pervers I 
L'azur des grands cieux découverts 
Sourit à mes humeurs chagrines. 

De grosses perles purpurines 
Scintillent dans les rameaux verts. 
Plus d'obsessions vipérines I 
Plus de chuchotements pervers ! 



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128 DANS LES BBANDBS. 

Le zéphyr, doux à mes narines, 
Souffle des parfums dans les airs 
Et baise les étangs déserts. 
Transparents comme des vitrines 
Plus d'obsessions vipérines ! 



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I 



XXXÏ 



LA PETITE GARDEUSE D'OIES 



Ma petite gardeuse d*oies, 
Par les prés et les chemins creux, 
Tu redis ton branle amoureux 
Aux buissons verts que tu coudoies. 

Tu vas éparpillant tes joies 
Sur rherbe et les talus pierreux, 
Ma petite gardeuse d*oies, 
Par les prés et les chemins creux ; 



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i30 DANS LES BRANDES. 

Et sans penser qu'un jour leurs foies 
Feront des pâtés savoureux, 
Tu suis tes gros jars bienheureux, 
Car jamais tu ne les rudoies, , 
Ma petite gardeuse d'oies. 



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XXXII 



DANS L'ÉTABLE 



Quelle paix ont les araignées 
Aux solives comme aux carreaux î 
Ici, des ais de tombereaux, 
Là, des pioches et des cognées. 

Je viens d'échanger des poignéeâ 
De main avec les pastoureaux; 

Quelle paix otit les araignées 
Aux solives comme aux carreaux ! 



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132 dâ'ns les branoës. 

Sur des litières bien soignées 
Je vois ruminer les taureaux 
Qui parfois entre les barreaux 
Passent leurs têtes refrognées. 
— Quelle paix ont les araignées ! 



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XXXIII 



LES CONSEILLERS MUNICIPAUX 



Les conseillers municipaux 

Sont tous attablés à Tauberge. 

Ils n*ont pas figure de cierge 

Sous les grands bords de leurs chapeaux. 

Elle a mis tous ses oripeaux, 
La servante robuste et vierge : 
Les conseillers municipaux 
Sont tous attablés à Tauberge. 

12 

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i34 DANS LES BRANDES. 

' Léchant les plats, vidant les pots, 
Chacun s'empiffre et se goberge : 
Monsieur le mah'e les héberge I 
— Ils ont assez parlé d'impôts, 
Les conseillers municipaux, 



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XXXIV 



LA SIESTE 



En regardant sauter les geais 
Sur les hautes branches d'un chêne, 
Délivré du spleen qui m'enchaîne, 
Béatement je m'allongeais. 

Oh I comme alors je me plongeais 
Dans la quiétude sereine, 
En regardant sauter les geais 
Sur les hautes branches d'un chêne ! 



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136 DANS LES BRANDES. 

Et, Sans traiter un des sujets 
Dont j'avais la cervelle pleine, 
J'attendais que la nuit d'ébène 
Eût effacé tous les objets, 
En regardant sauter les geais. 



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XXXV 



LA MORT DU COCHON 



Moi, qui Tavais vu si petit, 
• Je fus tout chagrin de sa perte. 
Et cette pauvre masse inerte 
Ne m'inspira nul appétit. 

Lorsque chacun se divertit 
Et festoya dans l'herbe verte, 
Moi, qui l'avais vu si petit. 
Je fus tout chagrin de sa perte. 



12. 



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138 DANS LES BRAIÏDBS. 

Mais la porchère compatit 
A son sort, dans la cour déserte, 
Car, en voyant sa béte ouverte. 
Ce sanglot de son cœur sortit : 
« Moi qui l'avais vu si petit I » 



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XXXVI 



LE CONVOI FUNÈBRE 



Le mort s'en va dans le brouillard 
Avec sa limousine en planches. 
Pour chevaux noirs deux vaches blanches, 
Un chariot pour corbillard. 

Hélas ! c'était un beau gaillard 
Aux yeux bleus comme les pervenches ! 
Le mort s'en va dans le brouillard 
Avec sa limousine en planches. 

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UO DAMS LES BRANDES. 

Pas de cortège babillard. 
Chacun en blouse des dimanches, 
Suit morne et muet sous les branches. 
Et, pleuré par un grand vieillard. 
Le mort s'en va dans le brouillard. 



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XXXVII 



LES DINDONS 



Ils vont la queue en éventail, 
A la file, par les sentiers, 
Glougloutinant des jours entiers : 
Aux champs, c'est le menu bétail. 

Doux pèlerins, sans attirail, 
Et béats comme des rentiers, 
Ils vont la queue en éventail, 
A la file, par les sentiers. 



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442 DANS LES BBANDES. 

Parfois pour caravansérail 
Ils ont de grands jardins fruitiers, 
Et là, prenant des airs altiers, 
Sans redouter répouvantail, 
Ils vont la queue en éventail. 



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xxxvni 



LE LÉZARD 



Sur le vieux mur qui se lézarde, 
Que de lézards gris ! ça fourmille I 
Quand je m'en vais dans la charmille, 
Toutes les fois je les regarde. 

L'un d'eux sur ma main se hasarde, 
Car moi, je suis de la famille. 
Sur le vieux mur qui se lézarde 
Que de lézards gris ! ça fourmille I 



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i44 DANS LES BRANDES. 

Je n*ai point la mine hagarde 
Pgui' la bestiole gentille, 
. Et c'est en paix qu'elle frétille, 
Se sachant bien en bonne garde 
Sur le vieux mur qui se lézarde. 



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XXXIX 



LA VIPÈRE 



Pauvre serpent, montre ta tête 
Aplatie et triangulaire. 
Par ce soleil caniculaire 
Dors en paix, formidable bête ! 

Tu siffles comme une tempête, 
Mais j'ai pitié de ta colère. 
Pauvre serpent, montre ta tête 
Aplatie et triangulaire I 



)3 



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146 DANS LES BRANDES. 

C'est bien doux qu'ici je m'arrête : 
Sans te bénir, je te tolère, 
Car aujourd'hui l'amour m'éclaire, 
Et j'en ai l'âme toute en fête. 
Pauvre serpent I montre ta tête ! 



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XL 



% 



L'ÉCREVISSE 



Elle voyage à sa façon 
Autour d'tin petit rocher maigre ; 
Son ruisseau, chuchoteur allègre, 
Est caché par un grand buisson. 

Tandis qu'un merle polisson 
Raille un pivert à la voix aigre, 
Elle voyage à sa façon 
Autour d'un petit rocher maigre. 



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148 DANS LES BRANDES^ 

Et, lente comme un limaçon, 
Noire comme la peau d'un nègre, 
Narguant le poivre et le vinaigre, 
Et le rouge de la cuisson, 
Elle voyage à sa façon. 



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XLÏ 



LA BOUCHÈRE 



La vache lentement chemine 
Entre le chaume et le regain ; 
La bouchère suit, cou sanguin, 
Moustache noire et belle mine. 

Par instants, son œil s'illumine : 
Elle a dû faire un fameux gain ! 
— La vache lentement chemine 
Entre le chaume et le regain. 



13. 



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150 DANS LES BRANDES.. 

Et tandis qu'à chaque chaumine 

S'arrête le petit doguin, 

Devant la commère en béguin, 

— Douce et blanche comme une hermine, 

La vache lentement chemine. 



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XLII 



LE VER LUISANT 



Le petit ver luisant dans Therbe 
S'allume cette fois encor 
A la même place ! Le cor 
Pleure au loin; la nuit est superbe. 

Au doux âge où Ton est imberbe, 
Je Tadmirais comme un trésor. 
— Le petit ver luisant dans Therbe 
S'allume cette fois encor. 



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1S2 DANS LES BRANDES. 

Mais, dira le penseur acerbe : 
« Tout ce qui reluit ii*est pas or! » 
Moi, je réponds à ce butor, 
Que j*aime, en dépit du proverbe, 
Le petit ver luisant dans l'herbe. 



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XLIÏl 



L'AMAZON 



Sur les grandes bouses de vache 
Le soleil met un ton pourpré. 
Elle chevauche au fond du pré 
Avec un petit air bravache. 

Elle effleure de sa cravache 
Le cou d*un alezan doré. 
Sur les grandes bouses de vache 
Le soleil met un ton pourpré. 



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454 DANS LES BRANDBS. 

Mais son long voile bleu la cache, 
Je ne puis la voir à mon gré ; 
Et mon regard tombe navré, 
Et machinalement s'attache 
Sur les grandes bouses de vache. 



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XLIV 



L'ÉCUREUIL 



Le petit écureuil fait de la gymnastique 
Sur un vieux chêne morne où foisonnent les guis. 
Les rayons du soleil, maintenant alanguis, 
Ont laissé le ravin dans un jour fantastique. 

Le paysage est plein de stupeur extatique ; 
Tout s'ébauche indistinct comme dans un croquis* 
Le petit écureuil fait de la gyltmastiqùe 
Sur uti vieux chêne morne où foisonnent les guis* 



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156 DANS LES BRÂNDBS. 

Tout à l'heure, la nuit, la grande narcotique, 
Posera son pied noir sur le soleil conquis ; 
Mais, d'ici là, tout seul, avec un charme exquis. 
Acrobate furtif de la branche élastique. 
Le petit écureuil fait de la gymnastique. 



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XLV 



L'HORLOGE 



A son tic tac mélancolique, 
La fermière écosse des pois. 
— La nuit noire comme la poix 
S'avance d'un pas diabolique. 

Cependant, qu'un chat famélique 
Guigne ses deux énormes poids, 
À son tic tac mélancolique, 
La fermière écosse des pois. 



14 



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i58 DANS LES BRANDES. 

Quand son tintement métallique 
Vibre dans sa cage de bois, 
Je frissonne un peu, mais je bois 
L'extase douce et bucolique 
A son tic tg^c mélancolique. 



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XLVI 



LE PIVERT 



Dans la grande chênaie, à Tombre du coteau, 
Je m'en vais en fumant, seul, à pas de tortue, 
Par la petite route âpre et si peu battue, 
Quand un pivert criard arrive d'un plateau. 

■— Son long bec, lui servant de vrille et de couteau. 
Déloge les fourmis d'une branche tortue. 
Dans la grande chênaie, à l'ombre du coteau. 
Je m'en vais en fumant, seul, à pas de tortue. 

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160 DANS LES BRANDES. 

Et gai, puisque mon crâne échappe à son étau, 
J'admire sur un tronc, que la vieillesse tue, 
Le joli perforeur dont la tête pointue 
Se relève et s'abat comme un petit marteau, 
Dans la grande chênaie, à Tombre du coteau. 



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XLVIT 



A LA JEUNE PINTADE 



Je te mets en capilotade 
Si je te prends à batailler : 
Assez longtemps le poulailler 
A souffert ta rodomontade. 

Je t'en préviens, jeune pintade, 
Comme un bourreau, sans sourciller, 
Je te mets en capilotade 
Si je te prends à batailler. 



14. 

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i62 DANS LES BRANDE8. 

Je te passe encor la boutade 
Et ta façon de piailler 
Qui m'empêche de travailler ; 
Mais, à la première incartade, 
Je te mets en capilotade! 



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XLVIIl 



LA CUISINIÈRE 



Au bruit sempiternel du canon de sureau 
Qu'un petit garçon bourre et rebourre sans trêve, 
La bonne au coin du feu s'assoupit dans un rêve 
Entre le chien blanchâtre et le matou noiraud. 

Et la voilà qui dort, un pied sur le barreau 
D'une chaise en bois blanc dont la paille se crève, 
Au bruit sempiternel du canon de sureau 
Qu'un petit garçon bourre et rebourre sans trêve. 



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164 DANS LES BRAMDES. 

1 — — ■ ■■ 

Mais la bonne ouvre Toeil, car le vieux hobereau 
La secoue à deux bras : — Qu'est-ce? dit Geneviève. 
— Ce que c'est! ventrebleul que le diable t'enlève! » 
Hélas I elle a laissé tout brûler un perdreau, 
Au bruit sempiternel du canon de sureau. 



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. j 



XLIX 



LE JAMBON 



Je le vois toujours, ce jambon, 
Avec un appétit nouveau. 
Fier, il pendait au soliveau 
Antique et noir comme un charbon. 

Oh ! devait-il être assez bon I 
Gros comme une cuisse de veau ! 
Je le vois toujours, ce jambon. 
Avec un appétit nouveau. 



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i66 DAMS LES BRANDBS. 

U me hantait pour tout de bon 
L'estomac comme le cerveau, 
Mais'je viens d'en manger. Bravo I 
Cette chair est un vrai bonbon. 
— Je le vois toujours ce jambon. 



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LA BELLE PORCHÈRE 



La porchère va remplir Tauge 
De son mouillé d*eau de vaisselle. 
Les deux bras nus jusqu'à raisselle» 
Elle va, vient, court et patauge* 

— L*air est plein d'une odeur de sauge. 
La lumière partout ruisselle. 
La porchère va remplir Tauge 
De son mouillé d'eau de vaisselle* 



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168 DANS LES BRANDES. 

X 

Et ma foi I mon désir se jauge 
Aux charmes de la jouvencelle : 
Je suis fou de cette pucelle. 
— Allons! verrats, quittez la bauge ! 
La porchère va remplir Tauge. 



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LI 



LA TRICOTEUSE 



Tu tricotais ton bas de laine, 
Toute rose et toute mignarde, 
ma friponne campagnarde, 
Quand je t'abordai hors d'haleine. 

— Suis-je encore loin de la plaine? 

— Oui, monsieur, fis-tu goguenarde. 
Tu tricotais ton bas de laine, 
Toute rose et toute mignarde. 

16 



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170 DANS LES BRANDES. 

Or, j'avais bu comme Silène, 
Et j 'étais d'humeur si gaillarde, 
Que je dis : « Tant pis I je m'attarde I » 
Et quand je partis à grand'peine, 
Tu tricotais ton bas de laine. 



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LU 



LA BOURRIQUE 



La bourrique luisante et forte 
Brait tous les jours, à la même heure, 
Devant la rustique demeure, 
De la plus lamentable sorte. 

Ses hi-han disent : « Je suis morte 
De soif! un peu d'eau I la meilleure I » 
La bourrique luisante et forte 
Brait tous les jours, à la même heure. 



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172 DANS LES BBANDBS. 

Et ma foi I le seau qu'on lui porte 
N'est pas un de ceux qu'elle effleure : 
Elle y boit que son mufle en pleure ! 
Et puis elle broute à la porte, 
La bourrique luisante et forte. 



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Lin 



LE LIEVRE 



Le lièvre, le long du fossé, 
S*eii revenait d'un pied qui boite, 
Et son allure maladroite 
Révélait qu'il était blessé. 

Tout fumant, le poil hérissé, 

La bouche en sang, Toreille droite; 

Le lièvre, le long du fossé. 

S'en revenait d'un pied qui boite. 



15. 

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i74 DANS LES BRANDES. 

— « Ah I s'il pouvait être pansé I 

Mais la pauvre béte est bien coite. » 

Et quand j'arrivai le front moite, 

Hélas ! il avait trépassé, [ 

Le lièvre, le long du fossé. 



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LIV. 



LE PETIT COQ 



Mon âme veuve les jalouse 

La poulette et le petit coq. 

— En plein soleil, près d'un vieux soc, 

Tous deux vont picotant la bouse. 

En vain je vis avec la blouse, 
Avec le chêne, avec le roc : 
Mon âme veuve les jalouse 
La poulette et le petit coq. 



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^■^^ DANS LES BRANDBS. 



— Chemin faisant, sur la pelouse. 
Que de fois, avec Tâir ad hoc. 
Le petit mari — toc toc toc — 
Caresse la petite épouse î 
Mon âme veuve les'j'alouse. 



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LV 



LE CHASSEUR EN SOUTANE 



Il tire aussi bien qu'il pérore, 
Le grand curé sec et rustaud. 
— Pour s'en aller chasser plus tôt, 
Il dit sa messe dès Taurore. 

V 

Ce n'est pas en vain qu'il explore 
Le bois, la brande et le plateau ! 
Il tire aussi bien qu'il pérore, 
Le grand curé sec et rustaud. 



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178 DANS LES BRANDES.j 

Mais son tricorne qu'il décore 

D'une plume de cailleteau 

Se profile au flanc du coteau. 

Un coup parti... C'est un lièvre encore. 

Il tire aussi bien qu'il pérore. 



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LVI 



LES CHATAIGNES 



— « Oh ! chère mignonne, tu saignes I » 
Et je suçai son joli doigt, 

Gomme tout amoureux le doit. 
Gare aux piqûres de châtaignes ! 

Libres dès grands et petits peignes» 
Ses cheveux flottaient dans Tair froid. 

— « Ohl ôhère mignonne, tu saignes! » 
Et je suçai son joli doigt. 



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180 DANS LES BRANOBS. 

— i< Fil c'est mal qu'ainsi tu m'étreignes. » 
C'était l'heure où le jour décroît. 

— « Laisse-moi bien vite! on nous voiti » 

— « Ce n'est pas quelqu'un que tu craignes ! 
« Ohl chère mignonne, tu saignes. » 



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LVII 



LE TOURISTE 



Le plein midi darde ses flèches 
Dans Tair chaud comme une fournaise-^ 
Je chemine tout à mon aise, 
Loin des fiacres et des calèches. 

Ici, promenades et pèches. 
J'aime ça, ne vous en déplaise ; 
Le plein midi darde ses 'flèches 
Dans Tair chaud comme une fournaise* 

16 



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i82 - DANS LES BRANDES. 

Cher pays, comme tu m'allèches 
Par tes rocs et ta terre glaise I 
Je n'ai pas de jument anglaise, 
Mais j'ai deux jambes toujours fraîches. 
Le plein midi darde ses flèches. 



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LVIII 



LE PETIT CHALET 



Qu'elle aime ce petit chalet 
D'une si plaisante carcasse I 
Le fait est qu'il est si cocasse, 
Qu'il m'inspire ce rondelet. 

Dans ce castel humble et drôlet, 
Elle brode, lit et fricasse. 
Qu'elle aime ce petit chalet 
D'une si plaisante carcasse! 



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184 DANS LES BRANDBS, 

Elle y goûte un bonheur complet. 
Et puis, qu'elle paix efficace I 
Personne ici qui la tracasse, 
Elle y vit comme ça lui plaît. 
Qu'elle aime ce petit chalet I 



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LIX 



MA VIEILLE PIPE 



Quand j'ai ma pipe en merisier, 
Toute mon âme se parfume; 
Et je la fume et la refume, 
Sans pouvoir me rassasier. 

Cet automne, à son cher brasier, 
J'ai nargué le vent et la brume. 
Quand j'ai ma pipe en merisier 
Toute mon âme se parfume. 



16. 

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i86 DANS LBS BRANDB9* 

Elle n'a qu'un tuyau d'osier; 
Mais les vers coulent de ma plume, 
Toutes les fois que je l'allume, 
Et j'ai de quoi m'extasier. 
Quand j'ai ma pipe en merisier. 



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LX 



I,ES MARGOTS 



Les corneilles et les margots 
Adorent ce pacage herbeux. 
En voilà des oiseaux verbeux 
Qui ne sont pas du tout nigauds I 

Aussi lents que des escargots, 
Gà et là paissent les grands bœufs. 
Les corneilles et les margots 
Adorent ce pacage herbeux. 



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488 DANS LES BBAN0E8. 

Là-bas, sur les tas de fagots, 
Et sur les vieux chênes ^bbeux, 
Tout autour du marais bourbeux, 
En font-elles, de ces ragots, 
Les corneilles et les margots ! 



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LXI 



MES PIPES 



Le jour comme à minuit 

Je fume, 
Car le tabac parfume 

L'ennui. 
mes pipes, sans bruit, 
Dans vos nimbes de brume 

Je hume 

La nuit! 



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190 DANS LES BRANDES. 



Que deviendrait sans vous 

Ma chambre, 
Calumets à bout d'ambre 

Si doux, 
Lorsqu'avec des cris fous 
Geint le vent de décembre 

Qui cambre 

Les houx? 



Et quand les nuits sont brèves. 

Au mois 
Des jeux, des doux émois, 

Des sèves, 
Vous m'enivrez sans trêves : 
Avec vous, dans les bois, 

Je bois 

Des rêves. 

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DANS LES BRANDE8. idl 



filles, ô cafardes, 

Je hais 
Vos faces à jamais 

Blafardes. 
Eve, en vain ta te fardes, 
Pour femmes, désormais. 

J'ai mes 

Bouffardes. 



Embaumez donc mes jours, 

Charmeuses, 
pipes, mes brumeuses 

Amours! 
Et dans tous mes séjours. 
Restez, mes endormeuses, 

Ftlmeuses 

Toujours. 



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LXII 



LE SOLILOQUE D'UN MENUISIER 



« Encore un clou! plus qu'un, et ma besogne est faite. 
« Je m'en doutais; c'est drôle et, sans être prophète, 
« Je m'étais toujours dit : « Ce riche mourra tôt. » 
« Je n'ai pas épargné les bons coups de marteau, 
« Et je puis me vanter que sa bière est parfaite I 
a J'ai vu sa face : elle est horrible et stupéfaite ! 
« Il sera mort sans doute au milieu d'une fête. 
((*BahI cousons fortement son affreux paletot: 
(c Encore un clou I » 

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DANS LES BRANDES. 193 

a C'est le sort, chacun meurt : en bas, et sur le faîte. 
«Touslesvainqueursdumondeontchézmoileurdéfaite. 
<i Hélas I j'aurai mon tourl Un confrère bientôt 
« Peut s'écrier, penché sur mon dernier manteau : 
« — Sa bière, dans vingt ans, ne sera pas défaite. 
« Encore un clou I » 



n 



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Lxin 



LE PÊCHEUR A LA LIGNE 



Mon liège fait plus d*un plongeon 
Dans Tonde au lit de sable fin. 
Ça mord à tout coup ; mais enfin 
Je n'ai pas pris un seul goujon^ 

Et je tiens ma perche de jonc, 
Patient comme un séraphin. 
Mon liège fait plus d'un plongeon 
Dans Tonde au lit de sable fiUi 



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\ 

DANS LES BRANDES. 1§5 

Derrière moi, le vieux donjon ; 
Devant, un horizon sans fin. 
Un brochet dort comme un dauphin 
A fleur d'eau, près d'un sauvageon. 
Mon liège fait plus d'un plongeon. 



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LXIV 



LE FACTEUR RURAL 



Par la traverse et par la route, 
Il abat kilomètre et lieue; 
Et, quand il rentre à sa banlieue, 
Il est si tard qu'il n'y voit goutte. 

— Dans les prés, un troupeau qui broute; 
Sur les buissons, un hoche-queue. 
Par la traverse et par la route, 
n abat kilomètre et lieue. 

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DANS LES BRANDBS. 197 

A son aspect, le chien velouté 
Sa langue, en remuant la queue ; 
Et les richards en blouse bleue 
Lui font casser plus d'une croûte 
Par la traverse et par la route. 



17. 



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LXV 



LES DEMOISELLES 



Rasant la mare de leurs ailes 
Que le soleil rend irisées, 
Elles ne sont jamais posées, 
Les inconstantes demoiselles. 

Plus vives que les hirondelles, 
Elles voltigent, d*air grisées, 
Rasant la mare de leurs ailes 
Que le soleil rend irisées. 



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DANS LES BRANDES. 199 

— « C'est rimage des infidèles 
« Par qui nos âmes sont brisées ! » 
Ainsi je songe à mes croisées 
En regardant les tontes belles 
Rasant la mare de leurs ailes. 



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LXVI 



LA RAINETTE 



Ma bonne petite rainette, 

A toi ce rondel amical. 

— Le vent hurle comme un chacal 

Autour de notre maisonnette. 

—/Elle te guigne, la minette, 
Du haut d'un vieux meuble bancal. 
Ma bonne petite rainette, 
A toi ce rondel amical. 



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DANS LES BRANDBS. 201 

Ta monotone chansonnette 
N'a pourtant rien de musical ; 
Mais ta me plais dans ce bocal, 
Sur ton échelle mignonnette, 
Ma bonne petite rainette. 



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LXVII 
I 



LA CHÈVRE 



Ma bonne chèvre limousine, 
Gentille béte à Tœil humain, 
J*aime à te voir sur mon chemin, 
Loin de la gare et de Tusine. 

Toi que la barbe encapucine. 
Tu gambades comme un gamin, 
Ma bonne chèvre limousine, 
Gentille béte à l'œil humain. 



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DANS LES BRANDBS. 203 

Je vais à la ferme voisine, 
Mais je te jure que demain , 
Tu viendras croquer dans ma main 
Du sucre et du sel de cuisine, 
Ma bonne chèvre limousine. 



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LXVIII 



LE CABRIOLET 



Dans mon petit cabriolet 
Je ramenais la grosse Adèle. 
Tête basse, ma haridelle 
Mélancolique détalait. 

Mon jeune chien cabriolait 
Et courait après Thirondelle. 
Dans mon petit cabriolet 
Je ramenais la grosse Adèle. 



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DANS LES BRANDB8. 205 

Or, aux frissons de son mollet 
Je lui parlai d*amonr fidèle, 
Tant et si bien que j'obtins d'elle 
Le baiser que mon cœur voulait, 
Dans mon petit cabriolet. 



is 



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LXIX 



LA FILLE AUX PIEDS NOS 



Dans le champ planté de colzas» 
De luzerne et de betteraves, 
Devant les grands bœufs doux et graves 
Je passais comme tu passas. 

Longtemps avec moi tu causas» 
l^ar un matin des plus suaves, 
Dans le champ planté de colzas» 
De luzerne et de betteraves» 

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DANS LES BRANDBS. 207 

Et si bien tu t'apprivoisas, 
Toi la fille aux pieds nus, qui braves 
L'herbe humide et le bord des gaves, 
Qu'en souriant tu me baisas. 
Dans le champ planté de colzas I 



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LXX 



LA CHANSON DE LA PERDRIX GRISE 



La chanson de la perdrix grise 
On la complainte des grillons, 
C'est la musique des sillons 
Que j*ai toujours si bien comprise. 

Sous l'azur, dans l'air qui me grise, 
Se mêle au vol des papillons 
La chanson de la perdrix grise 
Ou la complainte des grillons. 

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DANS LES BRANDES. 209 

Et Tennui qui me martyrise 
Me darde en vain ses aiguillons, 
Puisqu'à Tabri des chauds rayons 
J'entends sur Taile de la brise 
La chanson de la perdrix grise. 



18. 



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LXXI 



LES BÀBILLARDES 



Bavardes comme des perruches, 
Elles cheminent vers le puits 
Qui bâille au milieu des grands buis, 
— Les abeilles rentrent aux ruches, 

En grignotant le pain des huches, 
Elles font des haltes, et puis, 
Bavardes comme des perruches, 
Elles cheminent vers le puits. 

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DANS LBS BRANDBS. 211 

Elles vont balançant leurs craches, 
Et moi, des yeux, tant que je puis. 
Dans le crépuscule je suis 
Ces diseuses de fanfreluches, 
Payardes comme des perruches. 



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LXXII 



LE PETIT RENARDEAU 



Au bord de Tétang, le petit renardeau 
Suit à pas de loup sa mère la renarde, 
Qui s'en va guettant, sournoise et goguenarde, 
Le canard sauvage ou bien la poule d'eau. 

— Des nuages bruns courrent d'un noir bandeau 
Le soleil sanglant que l'&pre nuit poignarde. 
Au bord de l'étang, le petit renardeau 
Suit à pas de loup sa mère la renarde. 

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DANS LES BRÂNDB8. 2i3 

Sur un bois flottant qui lui sert de radeau, 
Soudain la rôdeuse en tremblant se hasarde ; 
Et moi, curieux et ravi, je regarde, 
Caché par les joncs comme par un rideau, 
Au bord de Tétang le petit renardeau. 



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LXXIII 



LES MAUVAIS CHAMPIGNONS 



Les empoisonneurs et les empoisonneuses 
Tireraient parti de ces champignons verts, 
Bruns, roux, noirs et bleus qui poussent de travers 
Dans Taffreux fouillis des herbes épineuses. 

Ces plantes souvent sont si volumineuses 
Qu'on dirait, ma foi I des parasols ouverts ! 
Les empoisonneurs et les empoisonneuses 
Tireraient parti de ces champignons verts. 

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DANS LES BRANDBS. 215 

— Là, dans ce val aux pentes vertigineuses, 
Un poète aigu, maniaque et pervers, 
Pourrait composer d'abominables vers 
Qu'applaudiraient pour leurs rimes vénéneuses 
Les em,poisonneurs et les empoisoni^euses I 



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LXXIV 



LE CHIEN ENRAGÉ 



Le chien noir me poursuit dans l'orage 
A travers de hideux pays plats, 
Et tous deux, tristes comme des glas, 
Nous passons labour et pâturage. 

Il franchit buisson, mur et barrage... 
Et je n'ai pas même un échalas ! 
Le chien noir me poursuit dans l'orage 
A travers de hideux pays plats. 

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DANS LES BRANDES. 217 



Et, songeant aux martyrs de la rage 
Qu'on étouffe entre deux matelas, 
Je chemine, effroyablement las, 
Presqu'à bout de force et de courage... 
Le chien noir me poursuit dans l'orage ! 



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LXXV 



LA LOCOMOTIVE 



Dans la vespérale torpeur, 
. Je fouette ma jument rétive 
Qui trotte ombrageuse et craintive 
En ruant sur mon chien jappeur* 

—• Et l'arbre fuit avec stupeur 
Comme une ombre lente et furtive* 
Dans la vespérale torpeur, 
Je fouette ma jument rétive^ 



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DANS LES BRANDES. 219 

Soudain passe à toute vapeur 
Une grande locomotive, 
Si lumineuse et si plaintive 
Que ma bête hennit de peur 
Dans la vespérale torpeur. 



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LXXVI 



LES CHAUVES-SOURIS 



« Mais pourquoi voler avec tant de mystère 
« Et si longuement dans ces grands corridors? 
« Vous seriez si bien à votre aise dehors, 
« Dans le brouillard frais qui tombe sur la terre. 

« Vous avez sans doute un vol involontaire, 
« chauves-souris noires comme un remords î 
« Mais pourquoi voler avec tant de mystère 
« Et si longuement dans ces grands corridors ? 

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DANS LES BRANDES. 221 

« Pour ainsi hanter ce château solitaire, 
« Vous n'êtes pas des âmes de mauvais morts ? 
« Enfin, pour ce soir, vivent les esprits forts î 
« Je reste là, sans que la frayeur m'attère. 
« Mais pourquoi voler avec tant de mystère ? 



19. 

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LXXVII 



RETOUR DE FOIRE 



Dans le crépuscule d'automne 
Ils reviennent, les petits reaux: 
Porcs, génisses, bœufs et chevaux 
Suivent la route monotone. 

De pauvres ânes qu'on bâtonne 
Hi-hannent par monts et par vaux. 
Dans le crépuscule d'automne 
Ils reviennent les petits veaux. 



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DANS LES BRANDES. 223 

Un troupeau bêlant qui s*étonne 
D'aller par des chemins nouveaux 
Creux et noirs comme des caveaux, 
Se rassemble et se pelotonne. 
Dans le crépuscule d'automne ! 



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LXXVIII 



LA JARRETIÈRE 



Cette vipère de buisson 
D'une grosseur surnaturelle 
Jarretiérait la pastourelle 
Qui dormait, un jour de moisson. 

Au froid de ce vivant glaçon, 
Elle ouvrit Tœil et vit sur elle 
Cette vipère de buisson 
D'une grosseur surnaturelle. 



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DANS LES BRANDES. 225 

Gomment oublier la façon 
Dont la mignonne enfant si frêle, 
Pâle, du bout de mon ombrelle, 
Désenroula sans un frisson 
Cette vipère de buisson ! 



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LXXIX 



LE RAT 



Ha chatte avait peur de cet énorme rat 
Qui toutes les nuits dévalisait Tarmoire, 
Rongeait aussi bien le bois que le grimoire 
Et fourrait partout son museau scélérat. 

Lourd, il trottinait, fouilleur comme un verrat. 
Tout y passait : fil, toile, velours et moire I 
Ma chatte avait peur de cet énorme rat 
Qili toutes les nuits dévalisait Tarmoire. 

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DANS LES BRANDES. 227 



Il mangeait le cuir, le liëgé, et caetera, 
Renversait les pots et traînait Técumoire ; 
Et même une nuit, si j*ai bonne mémoire, 
Je sentis sa queue ignoble sous mon drap. 
Ma chatte avait peur de cet énorme rat. 



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LXXX 



LE CHAMP DU DIABLE 



— Le merle fuit, plein de paniques, 
Les buissons recroquevillés : 
Entendez'Yous sous les noyers 

Ces chuchotements ironiques ? 

Quelles visions tyranniques ! 
J'en ai les yeux écarquillés. 

— Le merle fuit, plein de paniques, 
Les buissons recroquevillés. 

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DANS LES BRANOES. 229 

Quant aux petits fumiers coniques, 
Ils sont horriblement grillés. 
S'ils allaient être éparpillés 
Avec des fourches sataniques I 
— Le merle fuit, plein de paniques. 



30 



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LXXXI 



LA VIEILLE CROIX 



Au bas de la route inclinée, 
Où se croisent quatre chemins, 
Gomme un grand fantôme sans mains 
Se dresse une croix surannée. 

Mais la farouche abandonnée 
Brave encor bien des lendemains, 
Au bas de la route inclinée 
Où se croisent quatre chemins» 

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DANS LES BRANDES. 23 < 

Et la croix manchote et minée, 
De Fâge des vieux parchemins, 
Épouvante les yeux humains 
Gomne une potence damnée, 
Au bas de la route incOnée. 



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Lxxxn 



LES DEUX PETITS FRÈRES 



Ils s'en reviennent de Técole, 
Un livre dans leur petit sac. 
— Au loin, on entend le ressac 
De la Creuse qui dégringole. 

L'aîné rapporte une bricole, 
De la chandelle et du tabac. 
Us s'en reviennent de l'école, 
Un livre dans leur petit sac. 



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DANS LES BRANDES. 233 

Mais la nuit vient ; dans sa rigole 
La grenouille fait son coac, 
Et tous les deux, aydnt le trac 
Et tirant leur pied qui se colle, 
Ils s'en reviennent de l'école. 



ÎO. 



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LXXXIII 



LE CHAT-HUANT 



« Est-il sur un arbre où dans un creux de roche? 
(( C'est drôle, ce cri qui part on ne sait d*où I 
« Et puis, cet horrible et triste miaou 
« Tantôt vient de loin et tantôt se rapproche. 

« En vain je regarde I En vain ma canne embroche 
« Les buissons, et rôde au fond de chaque trou I 
« Est-il sur un arbre ou dans un creux de roche? 
« C'est drôle, ce cri qui part on ne sait d'où ! 

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DANS LES BRANDES. 235 



« Il miaule encor : diable ! je me reproche 

« D'avoir affronté ce maudit casse^cou. 

« La nuit toml)e avec un coassement fou; 

« Mais toujours la plainte introuvable m'accroche : 

« Est-il sur un arbre ou dans un creux de roche? » 



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LXXXIV 



LES CORBEAUX 



Les corbeaux volent en croassant 
Tout autour du vieux donjon qui penche ; 
Sur le chaume plat comme une planche 
Ils se sont abattus plus de cent. 

Un deuil inexprimable descend 

Des arbres qui n'ont plus une branche. 

Les corbeaux volent en croassant 

Tout autour du vieux donjon qui penche. 

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DANS LES BBANDES. 237 

Et tandis que j'erre en frémissant 

Dans le brouillard où mon spleen s'épanche, 

Tout noirs sur la neige toute blanche, 

Avides de charogne et de sang, 

Les corbeaux volent en croassant. 



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LXXXV 



L'HOTE SUSPECT 



Nous sommes bien seuls au bas de cette côte I 
Bien seuls I Et minuit qui tinte au vieux coucou! 
J'ai peur! l'étranger m'inquiète beaucoup. 
Il quitte le feu, s'en rapproche, s'en Ole, 

Ne parle qu'à peine, et jamais à voix haute : 
Cet individu médite un mauvais coup ! 
Nous sommes bien seuls au bas de cette côte! 
Bien seuls! Et minuit qui tinte au vieux coucou ! 

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DANS LES BRÀMDES. 239 

Oh I ce que je rêve est horrible : mon hôte 
Poursuit la servante avec un grand licou* 
J*accours I mais je tombe un couteau dans le cou, 
Éclaboussé par sa cervelle qui saute... 
— Nous sommes bien seuls au bas de cette côle I 



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LXXXVI 



LE CIMETIÈRE 



Le cimetière aux violettes 
Embaume tous les alentours. 
Les lézards y font mille tours 
Au parfum de ses cassolettes. 

Que de libellules follettes 
Y sont vaines de leurs atours ! 
Le cimetière aux violettes 
Embaume tous les aIentoui*s. 



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DANS LES BRANDES. 241 

£t, champ de morts, nid de squelettes 
Qui trompe le flair des vautours, 
U dort au bas des vieilles tours, 
Entre ses roches maigrelettes, 
Le cimetière aux violettes. 



31 

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LXXXVII 



LE REBOUTEUX 



Je n'irai pas dans son repaire, 
Je manquerai son rendez-vous, 
Car on le dit meneur de loups, 
Et grand ami de la vipère. 

— Son empirisme qui prospère 
Rend plus d'un médecin jaloux ! 
Je nirai pas dans son repaire, 
Je manquerai son rendez-vous. 



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DANS LES BRANDES. 243 

Il guérit tous ceux qu'il opère, 
Remet bras, jambes et genoux ; 
Mais, comme je crois, entre nous, 
Qu'il a le diable pour compère, 
Je n'irai pas dans son repaire I 



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LXXXVIII 



LE PATRE 



Que ce pâtre à jambe de bois 
Est donc vieux malgré soiï jeune âge ! 
—Il chante, comme c'est Tusage. 
Mais quelle épouvantable voix ! 

Jamais sourire plus narquois 

N'a ridé plus hideux visage. 

Que ce pâtre à jambe de bois 

Est donc vieux malgré son jeune âge! 

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DANS LES BRANOES* 245 

Voici que ma chienne aux abois 
Flaire un calamiteux présage ; 
Quant à moi, dans le paysage, 
Je ne regarde et je ne vois 
Que ce pâtre à jambe de bois. 



21. 



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LXXXIX 



LES DEUX LOUPS 



Brans et maigres comme des clous, 
Ds m'ont surpris dans la clairière, 
Et jusqu'au bord d'une carrière 
M'ont suivi comme deux filous. 

— Jamais œil de mauvais jaloux 
N'eut de lueur plus meurtrière I 
Bruns et maigres comme des clous, 
Ils m'ont surpris dans la clairière. 



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DANS LES BRANDES. 247 

— Mais la faim les a rendus fous, 
Car ils ont franchi ma barrière, 
Et les voilà sur leur derrière, 
A ma porte, les doux grands loups, 
Bruns et maigres comme des clous ! 



î 

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xc 



LES CLOPORTES 



Au bas d'un vieux mur qui s'écroule, 
Par delà fermes et guërets, 
Les cloportes, lents et secrets, 
Rampaient, ignorés de la poule. 

Je longeais un ruisseau qui coule. 
Lorsque j'aperçus les pauvrets 
Au bas d'un vieux mur qui s'écroule, 
Par delà fermes et guérets. 

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DANS LES BRANDES. 249 

— Comme ils étaient loin de la foule, 
Dans ces gravats moraes et frais I 
Je voulus les voir de plus près ; 
Mais ils se roulèrent en boule 
Au bas d'un vieux mur qui s'écroule. 



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XCI 



LA PLUIE 



Par ce temps pluvieux qui fait pleurer ma vitre, 
Mon cœur est morfondu comme le passereau. 
Que faire? encor fumer? j'ai fumé déjà trop ; 
Lire? je vais bâiller dès le premier chapitre. 

En vain tous mes bouquins m'appellent, pas u^ titre 
Ne m'allëciie. Oh I le spleen, implacable bourreau ! 
Par ce temps pluvieux qui fait pleurer ma vitre, 
Mon cœur est morfondu comme le passereau. 

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DANS LES BRANDES. ^51 

Et, miné par rennui rongeur comme le nitre, 

Je m'accoude en grinçant devant mon vieux bureau; 

Mais ma plume se cabre et refuse le trot, 

Si bien que je m'endors le nez sur mon pupitre, 

Par ce temps pluvieux qui fait pleurer ma vitre. 



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XGII 



MA VIELLE CANNE 



Ma vieille canne au bout ferré, 
Tu supportes ma lassitude I 
Avec toi, pas d'inquiétude 
Où que mon pied soit empêtré I 

Quand, pâle comme un déterré, 
Je marche dans la solitude, 
Ma vieille canne au bout ferré, 
Tu supportes ma lassitude. 



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DANS LES BRANOES. 253 



Aussi longtemps que je vivrai, 
A toi ma franche gratitude î 
Si pleine de sollicitude, 
Tu guides mon pas effaré, 
Ma vieille canne au bout ferré 



V2 



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XCIIl 



LE FEU FOLLET 



Le petit feu follet qui danse devant moi, 

A Tair trop gracieux pour être un mauvais guide. 

Je ne lui prête aucune intention perfide, 

Et je crois sa luQur pleine de bonne foi. 

Rebrousser chemin? non ! me défier? pourquoi? 
C'est ma route, et d'ailleurs le sol n'est pas humide* 
Le petit feu follet qui danse devant moi 
A l'air trop gracieux pour être un mauvais guide^ 

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DANS LES BRANDES. 255 

Et, marchant au lointain roulement d*nn convoi, 

J'abandonne mon âme à son rêve morbide 

Quand je plonge à mi-corps dans un bourbier liquide; 

Et plus j'enfonce, plus il raille mon effroi, 

Le petit feu follet qui danse devant moi ! 



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XCIV 



LE SOLITAIRE 



Au sommet de la tour étrange 
Habite un énorme crapaud. 
—Qui peut t'avoir porté si haut? 
Est-ce un diable, ou bien est-ce un ange? 

—As-tu donc trouvé dans la fange 
La puissante aile du gerfaut? 
Au sommet de la tour étrange 
Habite un énorme crapaud. 

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DANS LES BBANDES. 257 

— Ne crains pas que je te dérange ! 
El, gue tu sois béte, ou. suppôt 
De Satan, suinte à pleine peau, 
Heureux comme un rat dans sa grange, 
Au sommet de la tour étrange. 



22. 



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xcv 



LA LOUTRE 



Bâillez donc à fleur d'eau, vieilles carpes d'étang, 
Puisque j'ai résolu d'exterminer la loutre. 
Je viens de décrocher mon fusil de sa poutre 
Pour vous sauver la vie, à vous que j'aime tant. 

Je m'embusque et j'épie, ému, le cœur battant 
Vite et fort souç l'habit de chasseur qui m'accoutre. 
Bâillez donc à fleur d'eau, vieilles carpes d'étang. 
Puisque j'ai résolu d'exterminer la loutre. 

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DANS LES BRÂNDES. 259 

La voici près du bord, elle va furetant... 
' Oh ! la gueuse ! elleest ronde etpleine comme une outre. 
Visons bien! car je veux la percer d'outre en outre... 
Et je tire I Elle roule I... Ohl que je suis content I 
Bâillez donc à fleur d'eau, vieilles carpes d'étang ! 



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XLVI 



MES GIROUETTES 

9 



Elles grincent, mes girouettes, 
Sur le pauvre toit en lambeaux. 
Tous les arbres, grands et nabots, 
Ont de lugubres silhouettes ! 

Dans la saison des alouettes, 

Quand les deux dorment sans flambeaux, 

Elles grincent mes girouettes 

Sur le pauvre toit en lambeaux.' 



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DANS LES BRANDES. 261 

Comme elles font des pirouettes 
Dès que les jours ne sont plus beaux! 
Le matin, avec les corbeaux, 
Et le soir, avec les chouettes, 
Elles grincent mes girouettes ! 



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XCVII 



LA MORTE 



Je viens d'enterrer ma maîtresse, 
Et je rentre, au déclin du jour. 
Dans ce gîte où la mort traîtresse 
A fauché mon dernier amour. 

En m'en allant au cimetière 
Je sanglotais par les chemins. 
Et la nature tout entière 
Se cachait le front dans les mains. 



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DANS LES BRANDES. 263 



Oh I oui I la nature était triste 
Dans ses bruits et dans sa couleur ; 
Pour un jour, la grande Égoïste 
Se conformait à ma douleur. 

La prairie était toute pleine 
De corneilles et de corbeaux, 
Et le vent hurlait dans la plaine 
Sous des nuages en lambeaux : 

Roulant des pleurs sous ses paupières 
Un moutoa bêlait dans Tair froid, 
Et de la branche au tas de pierres 
L'oiseau volait avec effroi. 

L'herbe avait un frisson d'alarme > 
Et, le long de la haie en deuil 
Où tremblotait plus d'une larme. 
Mon chien aboyait au cerceuil. 



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264 DANS LES BRANDES. 

Et, comme moi, soleil, fleur j, guêpe, 
Tout ce qui vole, embaume, ou luit. 
Tout semblait se voiler d'un crêpe, 
Et le jour était plein de nuit. 

Donc, j *ai vu sa bière à la porte 
Tandis que Ton sonnait son glasl... 
Et maintenant, la pauvre morte 
Est dans la terre ! hélas ! hélas ! 

En vain, j'évoque la magie 
D'un être qui m'était si cher, 
Et mon corps à la nostalgie 
Épouvantable de sa chair ; 

Ce n'est qu'en rêve que je touche 
Et que j'entends et que je vois 
Ses yeux, son front, ses seins, sa bouche 
Et la musique de sa voix I 

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DANS LES BRANDES. 265 

Matins bleus, jours gais, nuits d'extase. 
Colloque à l'ombre du buisson 
Où le baiser coupait la phra'se 
Et qui mourait dans un frisson, 

Tout cela, chimères et leurre, 
Dans la mort s*est évaporé ! 
Et je me lamente et je pleure 
A jamais farouche et navré . 

Je crois voir sa tête sans joue l 
Horreur I son ventre s'est ouvert : 
Oh ! dans quelques jours qu'elle boue 
Que ce pauvre cadavre vert! 

Sur ses doigts et sur son cou roides 
Pleins de bagues et de colliers. 
Des bétes gluantes et froides 
Rampent et grouillent par milliers. 

28 

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266 DANS LES BRANDES. 

Oui, ce corps, jalousie atroce ! 
Aliment de mes transports fous, 
C'est maintenant le ver féroce 
Qui le mange de baisers mous. 

Sa robe, son coussin de ouate, 
Ses fleurs, ses cheveux, son linceul 
Moisiront dans Thorrible boîte* 
Son squelette sera tout seul* 

Hélas I le squelette lui-même 
A la fin se consumera, 
Et de celle que mon cœur aime 
Un peu de terre restera. 

Quel drame que la pourriture 
Fermentant comme un vin qui bout!..; 
Pièce à pièce, la créature 
Se liquéfie et se dissout* 

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DANS LES BRANDES. 267 

Mes iilosio&s ? TCHversées ! 
Mon avenir? anéanti I 
Entre quatre planches vissées 
Taut mon bonheur s'est englouti. 



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xcviii 



LE LAMENTO DES TOURTERELLES 



Par les ombres du crépuscule 
Et sous la lune de minuit, 
Qu'elle tristesse au fond du bruit 
Que la campagne inarticule, 
Et comme alors il vous poursuit 
De la ravine au monticule, 
Ce râle exhalé par l'ennui 
Des tourterelles! 



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DANS LES BRÂNDES. 269 

L'arbre s'effare et gesticule 
Aussi vaguement qu'il bruit ; 
Dans, l'herbe un frisson brun circule ; 
L'eau n'est plus qu'un brouillard qui luit, 
Et le vent tiède véhicule 
A l'écho qui le reproduit 
Le roucoulement minuscule 
Des tourterelles ! 

Et moi, que la douleur conduit, 
Je mêle à ces voix de la nuit 
Ma plainte horrible où s'inocule 
Tout le regret du temps qui fuit 
Et du passé qui se recule. 



23. 



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XGIX 



OU VAIS-JE? 



Sur les petits chênes trapus 
Voici qu'enfin las et repus 
Les piverts sont interrompus 

Par les orfraies. 
A cette heure, visqueux troupeaux, 
Les limaces et les crapauds 
Rampent allègres et dispos 

Le long des haies I 



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DANS LES BRANDES. 271 



Enfin Tombrel le jour a fui. 
Je vais promener mon ennui 
Dans la profondeur de la nuit 

Veuves d'étoiles I 
Un vent noir se met à souffler, 
Serpent de Tair, il va siffler, 
Et mes poumons vont se gonfler 

Comme des voiles. 



Au fond des grands chemins herbeux, 
Çà et là troués et bourbeux, 
J'entends les taureaux et les bœufs 

Qui se lamentent, 
Et je vais, savourant l'horreur 
De ces beuglements de terreur, 
Sous les rafales en fureur 

Qui me tourmentent ! 



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2*72 DANS LES BRANDES. 



Sur des sols mobiles et mous, 

. Espèces de fangueux remous, 

Je marche avec les gestes fous 

Des maniaques! s 
Où sont les arbres? je ne vois 
Que les yeux rouges des convois 
Dont les sifflements sont des voix 

Démoniaques. 



Hélas 1 mon pas de forcené 
Aura sans doute assassiné 
Plus d*un crapaud pelotonné 

Sur sa femelle! 
Oh! oui, j'ai dû marcher sur eux, 
Car dans ce marais ténébreux 
J'ai sentis des frissons affreux 

Sous ma semelle. 



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DANS LES BRÂNDES. 273 

Et je marche ! Or, sans qu'il ait plu, 
Tout ce terrain n'est qu'une glu ; 
Mais le vertige a toujours plu 

Au cœur qui souffre ! \ 

Et je m'empêtre dans les joncs. 
Me cramponnant aux sauvageons 
Et labourant de mes plongeons 

L'ignoble gouffre ! 



Sous le ciel noir comme un cachot. 
Crinière humide et crâne chaud. 
Je m'avance en parlant si haut 

Que je m'enroue. 
Suis-je entré dans un cul-de-sac ? 
Mais non I après de longs flic-flac 
Je finis par franchir ce lac 

D'herbe et de boue 



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274 DANS LES BRANDEè. 



Les chiens ont comme les taureaux 
Des ululements gutturaux ! 
Pas une lueur aux carreaux 

Des maisons proches ! 
N'importe ! je vais m*enfournant 
Dans la nuit d'un chemin tournant 
Et je clopine maintenant 

Parmi des roches. 



Où vais-je? comment le savoir? 
Car c'est en vain que pour y voir 
Je ferme et j'ouvre dans le noir 

Mes deux paupières ! 
Terre et dieux, coteau, plaine et bois 
Sont ensevelis dans la poix, 
Et je heurte de tout mon poids 

De grandes pierres ! 



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DANS LES BRANDES. 275 



Les buissons sont si rapprochés 
Qu'à chaque pas sur les rochers 
Mes vêtements sont accrochés 

Par une ronce. 
Derrière, devant, de travers, 
Le vent me cravache ! oh ! quels vers 
J*ébauche dans ces trous pervers, 

Où je m'enfonce! 



La rocaille devient verglas. 
Tenaille, scie, et coutelas I 
Je glisse, et le mince échalas 

Que j'ai pour canûô 
Craque et va se casser en deux... 
Mais toujours mon pied hasardeux 
Rampe, et je dois être hideux 

Tant je ricane 1 



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276 DANS LES BRÂNDËS. 

Et je tombe, et je retombe I oh I 
Ce chemin sera mon tombeau ! 
Un abominable corbeau 

Me le croasse ! 
Sur mon épaule, ce coup sec 
Vient-il d'une branche ou d'un bec ? 
Et dois-je aussi lutter avec 

L'oiseau vorace? 



Bah ! je marche toujours ! bravant 
Les pierres, la nuit et le vent ! 
J'affrontais bien auparavant 

La vase infecte I 
Où que j'aventure mon pied 
Je trébuche à m'estropier... 
Mais dans ce rocailleux guêpier 

Je me délecte I 



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DANS LES BRANOES. 277 

Rafales, ruez-vous sans mors I 
Ronce, égratigne ; caillou, mords ! 
Nuit noire comme un drap des morts, 

Sois plus épaisse I 
Je ris de votre acharnement, 
Car rhorreur est un aliment 
Dont il faut qu'effroyablement 

Je me repaisse!... 



FIN 



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TABLE DES MATIÈRES 



I. B*ayons Paris 3 

II. A travers champs 10 

III. Lalune 17 

IV. La petite couturière 22 

V. Le petit chien 29 

VI. Les gardeuses de boucs 35 

VII. Mon épinette 39 

VIII. Le chemin aux merles 42 

IX. Les petits taureaux 45 

X. La mare aux grenouilles '. 52 

XI. Le champ de chairdons 57 

XII. Le petit fantôme 62 

XIII. La confidence 67 

XIV. La promenade champêtre 70 

XV. Les cheveux 76 

XVI. Le remords '. 81 

XVII. Le pacage 85 

XVIII. Les bottines d'étoffe 90 

XIX. Le fantôme d'Ursule 95 

XX. La neige 9l 

XXL La vache 100 

XXII. Nuit fantastique 102 

XXm. La gueule..... 105 

XXIV. Les vieux chevaux 106 

XXV. Le bœuf 108 

XXVI. La ruine maudite 110 

. XXVII. Les arbres 112 

XXVIII. Le crapaud 116 



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280 TABLE DES MATIÈRES. 



XXIX. La laveuse 121 

XXX. La délivrance 127 

XXXI. La petite gardeuse d'oies 129 

XXXII. Dans retable 131 

XXXIII. Les conseillers municipaux 133 

XXXIV. La sieste.. 135 

XXXV. La mort du cochon ,. 137 

XXXVI. Le convoi funèbre 139 

XXXVII. Les dindons Ui . 

XXXVin. Le lézard 143 

XXXIX. La vipère 143 

XL. L'ôcrevisse 147 

XLI. La bouchère 149 

XLII. Le ver luisant 151 

XLIII. L'amazone 153 

XLIV. L'écureuil 155 

. XLV. L'horloge 157 

XLVL Le pivert » 159 

XLVII. Lajeune pintade 161 

XLVIIL La cuisinière 163 

XLIX. Le jambon 165 

L. La belle porchère 167 

LI. La tricoteuse 169 

LU. La bourrique f71 

LUI. Le lièvre 173 

LIV. Le petit coq 175 

LV. Le chasseur en soutane 177 

LVI. Les châtaignes. 179 

LVII. Le touriste 181 

LVIIL Le petit chalet • 188 

LIX. Ma vieille pipe., 185 

LX. Lesroargots 187 

LXL Mes pipes 189 

LXII. Le soliloque d'un menuisier 192 

LXIII. Le pêcheur à la ligne 194 

LXIV. Le facteur rural 196 

LXV. Les demoiselles 198 

LXVI. La rainette 200 

LXVIL La chèvre 202 

LXVm. Le cabriolet 204 

LXIX. La fille aux pieds nus... 206 

LXX. La chanson de la perdrix grise 208 



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TABLE DES MATIÈRES. 281 



LXXI. Les babillardes 210 

LXXII. Le petit renardeau 212 

LXXin. Les mauvais champignons 214 

LXXIV. Le chien enragé 216 

LXXV. Lalocomotive 218 

LXXVL Les chauves-souris 220 

LXXVIL Retourde foire 222 

LXXVIIL La jarretière 224 

LXXIX. Lerat :... 226 

LXXX. Le champ du diable 228 

LXXXL La vieille croix.. 230 

LXXXn. Les deux petits frères 232 

LXXXIIL Lechat-huant 234 

LXXXIV. Les corbeaux.,; 230 

LXXXV. L'hôte suspect 238 

LXXXVL Lecimetière 240 

LXXXVn. Le rebouteux 242 

LXXXVin. Le pâtre 244 

LXXXIX. Les deux loups :. 246 

XG. Les cloportes 248 

XGLLapluie 250 

XGIL Ma vieille canne 252 

XGIIL Le feu follet 254 

XGIV. Le solitaire 256 

XGV. Laloutre 258 

XCVL Mes girouettes 260 

XCVn. La morte 262 

XCVIII. Le lamente des tourterelles 268 

XCIX. Oùvais-je?.... ,. 270 



FIN DB LA TABLK DBS MlTlÀRBS 



Paris. — Imp. E. CAnoMc^iT et Y, IIinault, rue de» Poitevia». 6. 



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